Pour la première fois, les autorités reconnaissent officiellement le lourd sacrifice consenti par les services de police durant la décennie rouge du terrorisme. S'exprimant à l'occasion du 45e anniversaire de la police, Yazid Zerhouni, ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales, a affirmé hier que la Sûreté nationale a perdu 6% de ses effectifs entre 1992 et 2000, estimés à 80 000 hommes. « Ce qui est énorme », a-t-il déclaré en marge de la cérémonie de dépôt d'une gerbe de fleurs à la mémoire des martyrs du devoir national, au siège la Direction générale de la Sûreté nationale (DGSN). L'ex-chef du gouvernement, Ahmed Ouyahia, avait, lors de son interpellation par les députés après les massacres collectifs qui ont marqué les années 1997 et 1998, fait le bilan de la situation sécuritaire en avançant le nombre de 27 000 victimes civiles de terrorisme, sans pour autant faire état du bilan des pertes dans les rangs des services de sécurité, notamment la police, l'institution la plus touchée. Avec un effectif très en deçà des normes internationales et non préparé à « une guerre aussi sale » que celle déclarée par les groupes islamistes armés, la Sûreté nationale a subi une véritable hémorragie. Ses agents résidant en majorité dans des quartiers populaires deviennent les cibles privilégiées des terroristes. Chaque jour, ce sont des dizaines qui tombaient sous les balles assassines des groupes armés. Le sort de bon nombre d'entre eux n'est toujours pas connu. Enlevés pour être affreusement torturés, leurs corps n'ont jamais pu être retrouvés, plongeant leurs proches dans un deuil éternel. Janvier 1995 va marquer à tout jamais l'institution. Une voiture bourrée d'explosifs fonce sur le commissariat central, la veille du premier jour de Ramadhan. Bilan : une cinquantaine de morts et plus d'une centaine de blessés. L'attentat ouvre la porte à de nombreuses autres attaques à l'explosif contre les commissariats et cités où résident les familles des policiers. Dans l'urgence, l'administration tente de compenser les pertes par un recrutement massif au détriment de la sélection et de la formation. Des comportements répréhensibles commencent à s'installer dans les rangs, encouragés par la peur des citoyens à dénoncer ces dépassements. Mais le retour progressif à une situation plus ou moins stable pousse les responsables à miser sur non seulement la prise en charge psychologique des agents confrontés au terrorisme, mais également sur une meilleure politique de recrutement et de formation. Aujourd'hui, il est question d'atteindre, d'ici 2009, un effectif de 150 000 hommes, qui, malgré tout, est très loin des normes de sécurité. La thèse des attentats kamikazes non confirmée En effet, selon M. Zerhouni, près de la moitié des 541 daïras du pays n'ont pas de sûreté de daïra, précisant que celles-ci doivent être dotées de ces structures dans les trois années à venir. Il a mis en exergue « l'énorme effort » consenti pour le recrutement, la formation et l'équipement des nouveaux effectifs, notant que durant cette année, seulement 16 000 nouveaux policiers ont été recrutés. Pour lui, de nombreux jeunes veulent s'enrôler dans les rangs de la police. « C'est un signe de bonne santé de la société puisque les jeunes connaissent les sacrifices et les grands risques des missions du policier qui sont la défense, la sécurité et la servitude du pays », a déclaré M. Zerhouni L'attentat au camion piégé qui a visé une caserne de Lakhdaria, à Bouira, il y a une dizaine de jours, présente une grande similitude avec ceux du 11 avril dernier, notamment celui qui a visé le Palais du gouvernement. Une affirmation de sources sécuritaires, confirmée officiellement hier par M. Zerhouni, lors de la cérémonie de célébration du 45e anniversaire de la création de la police algérienne. M. Zerhouni a exprimé son « doute » quant au recours aux opérations suicide. Pour lui, ce recours, qui « pourrait donner plus d'effet psychologique », reste peu probable du fait de la découverte par les services de sécurité d'un système de commande à distance sur les lieux des attentats. « Après l'examen du camion utilisé dans le dernier attentat terroriste de Lakhdaria, il semblerait qu'on a fait exploser le véhicule de l'extérieur », a déclaré M. Zerhouni, notant toutefois qu'il ne s'agit pas encore d'une certitude. Selon lui, « si cette information venait à se confirmer, cela voudrait dire que même le chauffeur est lui-même victime ». Interrogé sur les circonstances de l'attaque contre une brigade de la gendarmerie de Yakouren, dans la wilaya de Tizi Ouzou, il y a une semaine, M. Zerhouni a affirmé que le groupe terroriste a tenté d'exploiter l'isolement de la brigade dans cette région. « Ils ont essayé de faire un grand coup, mais ils ont échoué. Le premier jour, ils ont perdu quatre de leurs éléments et un des leurs a été blessé », a t-il dit, sans pour autant donner le bilan des pertes dans les rangs des gendarmes. M. Zerhouni a tout juste fait état de « blessés » parmi ces derniers, mettant l'accent sur « la riposte rapide et relativement efficace » qui aurait permis « l'arrestation » de terroristes. « Un résultat qui montre finalement que leur marge de manœuvre est réduite », a-t-il relevé. Abordant la question des codes communal et de wilaya, et de la nouvelle loi électorale, M. Zerhouni a démenti les informations selon lesquelles ces textes seront adoptés par voie d'ordonnance présidentielle tout simplement parce qu'« il n'y a pas urgence ». Il a souligné à ce titre que « même si toutes les lois peuvent passer par ordonnance, à part les lois organiques qui ont une procédure particulière, il vaut mieux que la loi électorale et le code communal soient programmés, examinés et débattus au Parlement ». Néanmoins, M. Zerhouni n'a pas exclu la présentation de ces textes devant l'Assemblée nationale avant le prochain rendez-vous électoral « si les communales auront lieu en novembre ».