Le réalisateur algérien, Ahmed Rachedi, l'auteur mythique de L'Opium et le bâton, L'Aube des damnés, Ali au pays des mirages ou encore C'était la guerre, s'est intéressé à un héros de la Révolution de 1954, Mustapha Ben Boulaïd, en lui consacrant un film Cependant, le tournage a été interrompu Du coup le film est compromis. Alors que vous avez entamé la réalisation d'un film très attendu sur la grande figure historique de la Révolution algérienne de 1954, Ben Boulaïd, et contre toute attente, le tournage s'est arrêté. Pourquoi ? Cet arrêt est dû à plusieurs considérations. D'abord, l'acteur principal Hassan Khechache a eu une fracture du col du fémur pendant le tournage du film. C'est un accident de travail, si on peut dire. Mais qui nous met dans une situation délicate. Parce que Hassan Khechache est pratiquement dans toutes les scènes. On doit attendre son rétablissement. Cela passe par une une intervention chirurgicale assez sérieuse ainsi qu'une convalescence d'environ trois mois. Aussi, avons-nous pensé lors de la convalescence de Hassan, de le mettre à contribution — avec ses béquilles — et tourner au mois les gros plans avec lui. Et éventuellement avoir recours à une doublure. De surcroît, là, il ne reste que les scènes de guerre et d'action qui sont nombreuses où il doit être obligatoirement présent. Cela est une des causes. L'autre cause ? Ce sont des problèmes de trésorerie. La production a signé un certain nombre d'accords avec des institutions et des partenaires devant participer au financement de ce film. Je ne sais pourquoi certains d'entre-eux se sont désistés ou bien ont mis du temps à respecter les contrats qu'ils ont signés. Ce qui fait que le film « souffre ». Il souffre de ces problèmes de trésorerie. Des lenteurs financières ? Moi, je ne suis pas du tout concerné par les problèmes de production. J'ai été engagé en tant que réalisateur sur la base d'un contrat précisant une économie. C'est-à-dire que mon contrat de réalisateur stipulait que le film pouvait disposer d'un budget de x pour un tournage dans des conditions acceptables et bonnes. Sinon, je n'aurais pas accepté de le faire. Surtout par respect à cet important personnage de la Révolution algérienne qu'est Mustapha Ben Boulaïd. Un tel film ne doit pas se faire à la légère. J'ai beaucoup considéré cet aspect. Il n'y a aucun problème d'incompatibilité ou de dissension entre le producteur et moi. Au contraire, ils ont fait le maximum pour essayer de disposer des moyens. Mais bon, il y a eu des défections. Le seul problème : avant de produire un film, il fallait s'assurer les moyens de sa réalisation. J'ai demandé deux choses importantes au producteur : disposez-vous de moyens nécessaires menant à bien la réalisation d'un film d'une telle envergure et avez-vous l'assistance de l'armée (ministère de la Défense) sans laquelle un film de guerre ne peut pas être fait ? Nous avons reçu une aide considérable et précieuse de l'armée. Tout ce que nous lui avons demandé a été fourni dans des délais et des conditions d'organisation vraiment extraordinaires. Pour cela, il faut les remercier. Nous avons eu beaucoup d'aide non seulement de l'armée mais aussi de la Gendarmerie nationale et de la Direction générale de la sûreté nationale. Ce sont des institutions très soucieuses de contribuer à toutes ces œuvres qui rafraîchissent l'histoire. Il était important de faire un film sur Ben Boulaïd et lui donner un visage. Même si c'est un comédien qui interprète le rôle du personnage. Ben Boulaïd n'est pas un personnage du passé lointain. Ses compagnons d'armes sont encore vivants. En fait, sans jeu de mots, votre film manque du... nerf de la guerre.. . Le nerf de la guerre, c'est l'argent. Il y a de petits problèmes que le producteur est en train de régler. Mais ces problèmes nous ont obligés à arrêter la production. Celle-ci ne peut pas se faire avec des bouts de ficelles. Il s'agit de réaliser un film à la hauteur de ce personnage historique. Et dans ce film il n'y a pas que Ben Boulaïd. Il y a aussi Messali Hadj, Boudiaf, Ben M'hidi, Didouche Mourad, Ben Bella... Tous ces personnages gravitant autour de Ben Boulaïd qui n'ont presque pas été interprétés dans le cinéma algérien. Qu'est-ce qui vous a motivé à réaliser ce film ? Ce qui m'a motivé, ce n'est pas l'histoire de Ben Boulaïd, mais celle de tout ce mouvement ayant conduit à réunir autour d'une idée, l'indépendance de l'Algérie par la lutte armée. Des jeunes, dont le plus âgé avait 30 ans, qui un jour avaient décidé de libérer le pays du colonialisme français. Quelle serait la mesure d'urgence sauvant ce film devenant « une affaire nationale » ? Franchement, je pensais qu'en m'impliquant dans un projet de film sur Ben Boulaïd, cela serait considéré comme d'utilité nationale et que cela allait concerné tout le monde, les diffuseurs algériens en premier. J'ai moi-même eu des contacts avec l'ENTV m'ayant assuré que l'on allait fortement y participer et contribuer au financement du film. Ce qui est logique. La télévision algérienne ne peut refuser une participation dans un film portant sur Ben Boulaïd. Et maintenant, il faudrait que cela se fasse dans l'urgence. Faute de quoi, le film s'arrête. Et nous avons tourné 90% du film. Voilà le problème. Ce serait dommage d'arrêter le tournage du film dont les conditions étaient très difficiles. Le cinéma algérien n'a pas fait de gros films depuis longtemps. Il fallait motiver et mobiliser les gens pour travailler en permanence dans des endroits isolés à la montagne... Ce qui m'a beaucoup encouragé, c'est cette extraordinaire motivation de ces jeunes qui m'ont entouré aussi bien devant que derrière la caméra et qui ont montré un formidable enthousiasme. Parce que pour eux, c'était un redémarrage du cinéma algérien. C'est une espèce de trait d'union entre les deux générations. Celle des anciens du cinéma et celle juvénile très active. Cependant, ces jeunes sont désorientés quand ils constatent que quelqu'un comme moi, avec un passé cinématographique, une expérience, peut-être un peu de notoriété, n'arrive pas à faire un film sur Ben Boulaïd. Ils appréhendent de s'engager dans des projets et cela leur fait peur de voir des gens accorder peu d'intérêt à un film comme celui sur Ben Boulaïd. Et que cela sera déterminant pour leur future carrière et les incitera à éviter de faire ce genre de film. Mais ce que je peux vous dire, c'est que je ne suis pas le type de personne qui se décourage vite. J'irai jusqu'au bout de ce film en m'appliquant. Je ne le lâcherai pas, sans aucun doute. Quels que soient les obstacles. Et puis, je ne suis pas un homme non plus à liquider les choses et de faire dans la précipitation. Je continuerai. Ben Boulaïd n'est que le premier de la série. Je me battrai, cela a été toujours le cas en Algérie. Par analogie, jusqu'à aujourd'hui, il n'y a pas eu de film sur l'Emir Abdelkader... C'est quand même curieux ! Pourquoi l'Algérie ne financerait-elle pas un film sur l'Emir Abdelkader, Mokrani ou Massinissa ? Actuellement, je travaille sur un projet de feuilleton sur Massinissa, le fondateur de l'Etat algérien, ainsi qu'un film sur Krim Belkacem. Tout est prêt, le scénario... Je préfère un feuilleton qui coûte plus cher et utile que d'en faire quinze médiocres. Je pense qu'en Algérie, il y a suffisamment de potentialités et possibilités humaines, artistiques et techniques pour relever le défi par rapport au « savoir-faire importé ». Nous avons une histoire riche qui mérite être portée à l'écran aussi bien pour les générations futures que pour les étrangers qui ne savent rien sur l'Algérie à part sa révolution. Pour ce faire, l'Etat doit s'impliquer. Je crois savoir que le ministère des Moudjahidine a contribué avec de gros moyens dans la réalisation du film sur Ben Boulaïd en le sponsorisant. Je pense qu'il faudrait créer un dispositif, un mécanisme d'aide au cinéma. A titre d'exemple, en Tunisie, l'Etat met à la disposition du cinéma, chaque année, 5 millions de dinars finançant 10 films, ce qui représente 60% à 70% du budget d'un film. En Algérie, il n'y a aucun mécanisme d'aide au cinéma ou autre dispositif fiscal. Je suis époustouflé d'apprendre par la voix du Premier ministre, mardi dernier, qu'on a défiscalisé la pomme de terre et pas la culture. Cela éviterait le parcours du combattant aux gens créatifs, porteurs de projets et aux cinéastes. On est en train de produire parce qu'il y a une Année de l'Algérie en France, Alger capitale de la culture arabe. L'année prochaine, il n'y aura pas d'année culturelle arabe. Si l'Algérie est capitale agricole, on est « fichus » (rires).