Aminatou Ali Ahmed Haidar, défenseur des droits humains, a été condamnée le 14 décembre à une peine de 7 mois de prison ferme après avoir été reconnue coupable de divers chefs d'inculpation, liés pour la plupart à l'incitation à des manifestations violentes. Libérée en janvier 2006, elle se lance dans une campagne de sensibilisation sur la situation des droits de l'homme au Sahara-Occidental. Pouvez-vous d'abord nous décrire la situation des droits de l'homme dans les territoires occupés du Sahara-Occidental ? Le Sahara-Occidental, particulièrement les territoires occupés par le Maroc, se trouve sous un black-out total : répression, torture, arrestations et procès équitables d'une façon quotidienne. Cette situation n'épargne ni les femmes, ni les jeunes, ni les personnes âgées et même les enfants. Depuis le 21 mai 2005, il y a la naissance d'un seul mouvement populaire, appelé l'Intifadha. C'est grâce à celle-ci que le monde extérieur a pu se rendre compte de l'existence d'autres Sahraouis, sous l'administration marocaine, qui revendiquent leur droit inaliénable à l'autodétermination, et qui n'ont jamais accepté d'être Marocains. Cela ne veut pas dire que les Sahraouis ont commencé à résister ou à revendiquer ce droit depuis cette date. Car, depuis le 31 octobre 1975, il est à déplorer des disparitions forcées, des bombardements, des fosses communes et des cas où des Sahraouis ont été jetés des hélicoptères. Je suis d'ailleurs personnellement victime de ce crime contre l'humanité qui est la disparition forcée. J'ai été portée disparue à l'âge de 20 ans durant quatre ans dans un bagne secret, les yeux bondés, dans une situation très déplorable. Ma famille m'avait comptée à cette époque parmi les morts. Mon cas n'est pas unique. Je faisais partie d'un groupe, appelé chez l'opinion sahraouie, le Groupe de la commission, du fait que notre arrestation s'était produite à la veille de l'arrivée d'une commission onusienne qui voulait visiter les territoires occupés pour se préparer à l'organisation du référendum, soit en 1987. Les Sahraouis, toutes les couches sociales, y compris les étudiants dont je faisais partie à cette époque, avaient décidé de manifester de façon pacifique contre l'occupation marocaine, mais aussi pour revendiquer notre droit à l'autodétermination. Cette action a été avortée avant même son organisation. L'appareil sécuritaire marocain avait procédé à l'enlèvement de centaines de Sahraouis. En 1991, nous étions libérés avec un autre groupe, celui de Qalaât Meguouna qui a passé 16 ans dans un Bagne secret comme nous sans jugement. En 1992, il y avait d'autres manifestations qui ont été aussi réprimées. Plusieurs autres enlèvements et emprisonnements ont eu lieu en 1996 mais également en 1999 et personne ne pouvait en parler du fait d'un embargo médiatico-sécuritaire imposé par les forces d'occupation sur le territoire. C'était grâce à l'action des défenseurs des droits de l'homme, qui ont attiré l'attention des médias internationaux, que ces violations ont pu être reconnues. La presse et les ONG ont commencé à parler de manifestations dans les villes occupées sahraouies et la dernière en date l'Intifadha de mai 2005 qui a été sauvagement réprimée. Résultat : des dizaines de détentions arbitraires, des centaines de victimes des tortures, saccage de maisons, viol de femmes. Les établissements scolaires ; écoles, collèges, lycées et universités se sont transformés maintenant en casernes de police. Ce sont les lieux où il y a la présence quasi permanente de la police même à l'intérieur des établissements. Les écoliers sont toujours effrayés, terrorisés. Ils ne peuvent plus se concentrer parce que devant les fenêtres de leurs classes, il y a la police. Pis, des écoliers sont à chaque fois différés devant les postes de police où ils subissent de la torture. A l'heure actuelle, il y a plus de 57 détenus politiques, repartis entre la prison noire d'El Ayoun et d'autres prisons marocaines, à Agadir et Rabat. Cette Intifadha s'est élargie vers le sud du Maroc et touche des universités où il y a des étudiants sahraouis. Ces derniers font l'objet d'intimidation, de torture, d'arrestation et d'emprisonnement. En mai 2007, il y avait le jugement de 22 détenus sahraouis et des dizaines de victimes de torture. Le fameux cas est celui de Soltana Kheiya qui a perdu un œil, opéré récemment à Barcelone. Il y a cinq jours, les autorités marocaines ont exclu 40 étudiants de la faculté de Fès. Ils leur ont confisqué tous leurs droits (hébergement, restauration, transport…). C'est une politique très dangereuse d'autant que depuis 31 ans d'occupation, il n'y a aucune université dans les territoires sahraouis. Pour poursuivre leurs études supérieures, les étudiants sahraouis sont obligés d'aller vers les villes les plus proches du Sahara-Occidental. Autre cas, celui du militant des droits de l'homme Ali Salem Tamek pour lequel on a refusé une inscription à l'université de Mohammadia pour des raisons sécuritaires. C'est une autre vengeance contre les militants des droits de l'homme sahraouis. En bref, tous les citoyens civils sahraouis ont tous leurs droits sociaux, économiques et politiques bafoués. On n'a pas le droit de manifester, de se réunir, ni de se constituer en associations. Le collectif des défenseurs des droits de l'homme, Codesa dont je suis membre, n'a pu tenir son congrès constitutif le 7 octobre dernier à El Ayoun. Un autre cas, l'ASVDH attend toujours son agrément. Au cours de cette Intifadha, il y a eu déjà deux morts, Hamdi Lembarki, le 31 octobre 2005, Mohamed Salem Abdelaziz Lehbib, surnommé Sidha, début septembre dernier. Celui-ci a perdu sa vie à cause de la torture. Et les territoires occupés du Sahara-Occidental se trouvent toujours sous embargo… Il y avait même l'expulsion de dizaines d'organisations, des parlementaires et des journalistes. Le pire encore, c'est que la délégation ad hoc de parlementaires de l'UE constituée depuis le 25 octobre 2005 attend toujours le feu vert des autorités marocaines pour visiter les territoires occupés. Par ailleurs, le rapport du Haut Commissariat des Nations unies pour les droits de l'homme, établi les 17, 18 et 19 mai 2006 qui a fait part de violations de droit de l'homme, attend toujours d'être publié. Pourquoi selon vous ce rapport n'a toujours pas été publié ? La France a utilisé son vote pour s'opposer contre sa publication. La communauté internationale assume seule la responsabilité de la non-publication de ce rapport. Nous l'appelons afin qu'il agisse pour le publier et appliquer ses recommandations. Ces dernières sont importantes, car elles visent la mise en place d'un mécanisme de protection et de promotion des droits de l'homme dans les territoires occupés et l'application d'un droit fondateur qui est le droit d'autodétermination du peuple sahraoui. Toutes les violations commises contre les Sahraouis sont étroitement liées au non-respect de ce droit d'où l'importance de l'application des recommandations de ce rapport. Quel bilan faites-vous des mandants de la Minurso dans les territoires du Sahara-Occidental ? Le Conseil de sécurité de l'ONU doit élargir les prérogatives de la Minurso pour pouvoir intervenir sur la protection des Sahraouis et protéger leurs droits. C'est d'ailleurs l'une des recommandations du Haut Commissariat des Nations unies pour les droits de l'homme dans son rapport qui n'a pas encore été publié. La Minurso est, pour nous, un témoin international de violation des droits de l'homme au Sahara-Occidental. Hassan II a fait toutes ses violations de façon discrète, mais maintenant avec la présence d'un observateur international à El Ayoun. La Minurso fait des rapports mais c'est insuffisant. Leur présence au Sahara n'a plus de sens. Comment le combat doit-il se poursuivre selon vous pour faire connaître le droit des Sahraouis ? En tant que militante des droits de l'homme, je privilégie la voix pacifique. Même si je sais qu'avec le Maroc, le dialogue ne va rien changer. S'il n'y a pas de pression de la communauté internationale, les négociations ne vont rien donner. En tant que militante qui observe ce qui se passe dans les territoires occupés, je peux vous dire que le Maroc n'a pas cette bonne foi pour négocier. Comment expliquez-vous qu'au moment où se déroulent ces négociations, la population sahraouie est sous la torture et même que le taux d'arrestation s'est élevé ? Par ailleurs à quoi sert maintenant le troisième round si un membre du Conseil de sécurité qui est la France déclare publiquement qu'il est pour l'autonomie ? C'est une atteinte grave aux droits internationaux.