Dans son ancienne splendeur, Alger disposait de cinq portes qui se refermaient chaque nuit et les jours de siège. Autant que les doigts de la « khamssa » pour une ville qui se nommait alors El Djazaïr El Mahroussa, soit la Bien-Gardée. Ce chiffre-talisman ne l'a pourtant pas préservée des épreuves de l'histoire ni de diverses ignominies à la tête desquelles figure la bêtise. Peut-être parce qu'il était faux car, en fait, la cité comptait six portes. Seule demeure Bab Ejdid qui, comme son nom l'indique, était la nouvelle. Les autres ont disparu : préservées de l'oubli par la toponymie, comme Bab El Oued, qui a donné son nom à un quartier, et Bab Azzoun, à une rue ; emportées dans le flot du temps comme les portes marines de Bab Dzira et Bab El Bahr. Quant à Bab Sidi Ramdane, même le souvenir, agrippé à la magie du cinq, ne l'a pas retenue. Alger est devenue une ville - oserait-on dire ouverte ? - aux portes multiples et sans grâce. La rampe Tafourah, l'échangeur de la Concorde, l'autoroute de Zeralda, etc. Portes sans battants où des corsaires motorisés partent à l'assaut de leurs compagnons de route. Portes de bitume et de vapeurs d'essence. Portes soit-disant modernes aux mœurs médiévales. L'avion n'existait pas à l'époque ottomane. Et, aujourd'hui, pour le voyageur, s'il est une porte pour entrer à Alger, on doit compter celle des airs, cette sorte de Bab El Tayr que figure l'aéroport Houari Boumediène. De dehors, une masse quelconque qui le fait croire beau à ceux qui veulent croire que tout ce qui est neuf a de l'élégance. De dedans, une impression de se trouver n'importe où dans le monde : un supermarché américain, une gare coréenne, un hôpital émirati, à la rigueur une bibliothèque canadienne. Rien ici, en dehors de l'élément humain, ne vient rappeler l'Algérie. Pas la moindre trace de son patrimoine. Pas une seule référence culturelle. Pas l'ombre d'une présence artistique. Un boyau de béton aux mezzanines vides, ornées de portes fermées, quel symbole ! Un monument à la gloire du vide et de la désincarnation. Pendant ce temps, des designers algériens sèment de la beauté dans le monde entier. D'autres, non moins talentueux, rongent leur frein ici. Personne ne songe à leur faire appel. Les premiers ont eu le tord de ne pas être restés. Les deuxièmes celui de ne pas être partis. Mais peut-être vaut-il mieux que l'aéroport demeure aussi impersonnel, avant qu'un responsable ne s'avise de le folkloriser à coups de faïences inspirées de gravures coloniales, comme c'est souvent le cas. PS : Mais quelle importance, diriez-vous, quand le tonnerre des bombes recouvre la voix des humains ?