Il y a quelques années encore, le seul fait d'évoquer la fraise renvoyait presque machinalement à parler de Skikda. C'était une époque où le fruit rouge se caractérisait par sa rareté et une prédominance skikdie. C'était aussi l'époque où Skikda gardait jalousement un de ses éternels secrets qu'elle cultivait sur les versants allant de Stora à Ben Zouit. Aujourd'hui, les temps ont changé. La mondialisation aidant, les Espagnols, les Marocains, la contrebande, et les prouesses du développement agricole, somme toute légitime, de nos voisins Jijelis sont venus titiller la quiétude gustative de la fraise locale au point de la concurrencer. Qui n'avance pas recule, dit-on, et c'est valable pour la fraise locale que les agriculteurs désignent par une appellation aussi féminine qu'originale : « Lemkerkba » (la rondelette). C'est la variété autochtone qu'on ne peut cultiver que dans son espace originel. Elle dépasse, par ses qualités gustatives, et de très loin, toutes les variétés du monde, fussent-elles de Huelva en Espagne, du Maroc ou même de Mostaganem et Jijel. Mais apparemment, cette suprématie n'a pas encore été accompagnée par les encouragements nécessaires à la perpétuation de la dominance skikide d'une part, et d'autre part, la préservation d'une véritable biodiversité. La preuve, les périmètres de production, habituellement réservés à cette variété le long de la baie ouest de Skikda, connaissent une baisse considérable. En ce moment même, l'on assiste, considérations économiques oblige, à une fulgurante présence de la culture de la fraise sous serre à Tamalous. L'un ne devrait pas empêcher l'autre, et il serait encore temps de repenser à « Lemkerkba », tout en continuant à encourager d'autres variétés, car si l'économie exige une diversité, elle ne devrait pas se faire aux dépens d'un label local qui aura survécu plus de 70 années. En outre, « Lemkerkba » est d'abord un produit du terroir, un label et un bien skikdi qu'il serait suicidaire de laisser mourir sous les brises marines. Les agriculteurs de Stora, de Ben Zouit, et ceux de la Grande plage ont juste besoin de lopins de terre et d'un petit encouragement pour redonner à cette variété ses lettres de noblesse. La fête de la fraise qui se prépare sera certainement une bonne occasion d'engager le débat. Il y va de l'essence même de la fraise de Skikda, la vraie !