les éditions du Tell de Blida viennent de publier un superbe ouvrage en deux volumes intitulé L'autobiographie en situation d'interculturalité. La couverture, avec le titre sur fond de céramique de l'artiste Mohamed Boumehdi de Kouba, est tout simplement magnifique. Sur la quatrième de couverture, au milieu d'un rectangle de céramique, on peut lire « l'interculturel, la voie du nouvel ordre humaniste ». Une réflexion qui annonce un sens aigu du partage. En effet, ce bel ouvrage réunit les actes d'un colloque, qui annonce une reprise dynamique des activités scientifiques de l'université d'Alger. Afifa Bererhi, la coordonatrice de L'autobiographie en situation d'interculturalité, écrit avec justesse en introduction que ces actes sont l'expression de l'aboutissement d'une volonté commune, celle du département de français de l'université d'Alger, qui renoue avec sa tradition de communication et d'échanges interuniversitaires. La richesse et la diversité des thèmes abordés témoignent de la recherche en cours sur le genre littéraire spécifique qu'est « l'autobiographie », le lieu où l'on parle de soi et où le « je » devient le sujet central par excellence. Je pense que ce n'est pas un hasard si le thème de l'autobiographie a été choisi comme premier sujet d'étude après une décennie de silence. Les organisatrices, Afifa Bererhi et Bouba Tabti ont ressenti l'importance d'affirmer la vie et la nécessité de l'individu à se raconter, de dire sa différence en tant qu'entité pleine et entière. La notion d'interculturalité n'est point innocente comme corollaire de réflexion, dans la mesure où c'est la reconnaissance de l'autre, le respect de l'autre dans son vécu spécifique qui est démontré de façon scientifique et magistrale dans cet ouvrage où la théorie sur le genre va plus en avant. Les auteurs abordés sont nombreux et les communications sont classées par thème. L'altérité intime est étudiée dans l'œuvre de Victor Hugo et de Jorge Semprin, l'altérité et les temps coloniaux étudiés dans Cantique des plaintes de Nancy Huston, L'Afrique fantôme de Michel Leiris et L'amant imaginaire de Taos Amrouche. Eugène Fromentin en Algérie, Khatibi, Michèle Villanueva, Rolland Doukhan sont perçus sous l'angle des voies de dépassement. Les femmes écrivains et les écrits autobiographiques de femmes souvent présentés sous forme de récits ont une large place dans cet ouvrage. Elles sont étudiées avec finesse comme Marguerite Yourcenar, Leïla Sebbar, Nina Bouraoui, Malika Mokeddem, Assia Djebbar bien sûr, Fatou Dioume, Maryse Condé, Miriama Ba, la Sud-Africaine Winnie Mandela, Annie Ernaux, Christine Angot ou Natahalie Sarraute. L'altérité et le questionnement théorique sont abordés par le biais d'auteurs tels que Jean-Paul Sartre, Alain Robbe-Grillet, Saïd Mohamed, Aziz Chouaki avec Les Oranges et Raphaël Confiant. L'altérité et l'éthique existentielle sont abordées par le biais de l'ouvrage du palestinien Edward Saïd, Out of place, un auteur qui en se racontant est devenu « La voix de tous ceux qui semblent être aujourd'hui les oubliés de l'histoire, victimes parmi les victimes ». Deux communications références inaugurent cet ouvrage, celle de Henri Tessier, archevêque d'Alger qui livre une réflexion sur les confessions d'Augustin qu'il qualifie d'autobiographie dans l'interculturalité, et celle de Philippe Lejeune, « L'autorité académique dans le domaine de la recherche sur l'autobiographie. » Pour ce dernier, l'autobiograhie est un récit rétrospectif en prose qu'une personne réelle fait de sa propre existence et de sa personnalité. Ainsi l'autobioraphie est une construction, elle peut être une œuvre littéraire. La réflexion de Philipe Lejeune dans cet ouvrage va plus loin et porte sur la différence entre l'autobiographie et le journal intime qui pour lui est une pratique, un va-et-vient, chaque jour entre la vie et l'écriture. Il fournit les éléments clés de son approche et de son intérêt pour le journal intime qu'il relie à sa propre expérience : « Je tiens un journal depuis maintenant un peu plus de cinquante ans ... Quand je suis devenu universitaire, j'ai choisi comme sujet d'étude l'autobiographie, dans ses formes les plus prestigieuses et les plus construites ... Il m'a fallu mûrir, accepter le temps qui passe ... pour reconnaître les vertus du journal dans cette dérive. » Ainsi, Philippe Lejeune démontre les schémas théoriques pour l'étude du journal en tant que texte et présente son projet d'enquête sur la pratique du journal personnel en Algérie, un terreau fertile. L'autobiographie en situation d'interculturalité est un ouvrage à acquérir, aux éditions du Tell, automne 2004.