L'atelier, il l'avait ouvert en 1966, à la suite d'un extraordinaire concours de circonstances. Le président Boumediène avait confié à l'architecte Fernand Pouillon un ambitieux programme de construction d'infrastructures touristiques. Un jour, celui-ci, en visite au palais du Peuple, tombe en admiration devant un panneau de céramique, se désolant que cette qualité de travail n'existait plus. On lui expliqua que l'œuvre était récente. Pouillon s'empressa de contacter Boumehdi, étonné de découvrir qu'il maîtrisait son art avec un tel brio en ne le pratiquant que nuitamment, en amateur, au sortir de ses journées de travail à la Poste d'Alger. Né en 1924 à Blida, Mohamed Boumehdi avait découvert la céramique en 1947, dans une manufacture de Berrouaghia. Il avait commencé ainsi à s'initier, se prenant de plus en plus de passion pour cette discipline qu'il considéra longtemps comme un violon d'Ingres, une occupation secondaire. Ayant à charge une famille, ne disposant pas de moyens d'investir, il se contenta pendant près de 20 ans de comprimer sa créativité dans les limites d'un loisir. La rencontre avec Pouillon, à la villa des Arcades (siège de Alger, capitale culturelle du monde arabe), va bouleverser sa vie. Il a raconté comment l'architecte avait examiné les carreaux qu'il avait ramenés avant de lui demander de lui montrer ses mains, s'exclamant alors qu'elles contenaient de l'or. Il faut préciser que Pouillon était un fin connaisseur en matière de céramique. Lors de la construction des cités Diar El Mahçoul et Diar Essada à la fin des années 1950, il avait fait appel à un céramiste de grand talent, Souline, dont les travaux ornent encore les bâtiments de ces ensembles. De même, lors de ses voyages en Iran et de son mariage avec une femme apparentée aux Pahlavi, Pouillon avait découvert toute la magnificence des céramiques persanes. Dès leur premier contact, il convainc Boumehdi de démissionner de la Poste, et ouvre avec lui l'atelier de Kouba. Sans équipements, le céramiste recrute quelques adolescents pour leur apprendre à dessiner. Puis, avec le démarrage des projets touristiques, les commandes arrivent, les équipements se mettent en place. L'aventure commence et l'or que ses mains contenaient se diffusera ainsi à travers toute l'Algérie. La collaboration avec le grand architecte, empreinte d'amitié, lui permet de créer des fresques qui vont se placer dans les hôtels et complexes touristiques en construction : Moretti, Tipaza, Sidi Fredj, les Andalouses... Son atelier se développe. Il forme des générations de céramistes, dont son fils, Hachemi, appelé désormais à se faire un prénom. En fait, Boumehdi est dans son domaine un précurseur. De la même façon que Mohamed Racim avait créé la tradition algérienne de la miniature, avant lui inexistante, Boumehdi, par son travail, pose les jalons d'une école de céramique. En effet, Alger, à l'apogée de la Course, était grande consommatrice de faïences, mais sa production était limitée. On faisait venir par cargaisons entières des carreaux, et ceux de La Casbah ou des demeures anciennes ont souvent été rapportés du Portugal, d'Italie et même de Hollande. Quant à la tradition locale, réduite, elle avait fini par se perdre à la fin de la colonisation. C'est dire combien la contribution de Mohamed Boumehdi a été précieuse. Il a effectué un travail important de recherche et de conservation des motifs, couleurs et matériaux anciens qui lui ont permis de donner à son travail un label d'authenticité et de récupérer pour le pays un patrimoine et un savoir-faire voués à la disparition, ceci tout en se lançant dans des créations personnelles. Avec Pouillon toujours, il réalisera près d'une centaine de fresques de grand format pour la réhabilitation de l'hôtel El Djazaïr. Il exprimera là toute sa maîtrise artistique. Ses œuvres ont fait le tour du monde, emportées par ses admirateurs ou exposées. Il a réalisé les faïences du minaret de la mosquée de Diar El Mahçoul à la demande de Pouillon qui avait voulu contribuer à la transformation de l'ancienne église qu'il avait lui-même construite. De même, près de Draguignan en France, dans le village de Flayosc, se trouve peut-être la seule église au monde décorée de céramiques musulmanes, également réalisées par lui. Sur un texte de Abdelkrim Djillali, les éditions Zaki Bouzid lui ont consacré un beau livre qui demeurera, avec ses œuvres, un témoin de sa vie et de son œuvre. En juin de l'année dernière, il s'était rendu à El Khroub, près de Constantine, pour participer à une semaine culturelle. Toujours actif et enthousiaste, la passion était intacte malgré le poids des ans.