Finir l'année académique avec quelques bons augures dans cette période tragique de l'histoire et en particulier de celle qui couvre les espaces dans lesquels nous somme inscrits, l'Algérie, la Méditerranée, le monde arabe, le monde musulman, les sociétés du Sud, sera le cœur de cette chronique. Déjà, l'été 2006 avait donné de l'espoir avec Nasr'Allah conduisant la résistance du Liban, injectant de l'honneur dans la conscience des simples gens, rappelant à leurs dirigeants la honte d'être des « mamelouks », et à la coalition des agresseurs, Israël et les USA notamment, que David et Goliath n'est pas seulement une fable. Aujourd'hui, deux personnalités donnent un peu de lumière à cet été maussade qui conclut une année marquée à l'échelle du monde par les émeutes de la faim, les turbulences écologiques et l'emmurement des régions occidentales, l'Europe et les USA, contre les « multitudes » du Sud. Barack Obama, « le métis », fils d'une Blanche américaine et d'un Noir du Kenya, sera peut-être le prochain président des Etats-Unis. Il a vaincu Hillary Clinton, cette bonne représentante des classes moyennes américaines, qui était sûre de gagner les primaires démocrates en jouant sur la peur raciale des Blancs vis-à-vis des Blacks, le soutien sans faille du lobby juif et le statu quo en Irak. Son époux, l'ancien président Bill Clinton, n'avait-il pas bombardé ce pays en 1998 et tenté vainement d'entraîner Yasser Arafat à abandonner le principe « du droit au retour » qu'Israël refuse d'admettre. Obama s'est prononcé sans ambiguïté sur le retrait de l'Irak, une ouverture sur l'Iran et la Syrie, une nouvelle politique pour l'Afrique, et même s'il reste vague sur les problèmes de la paix au Moyen-Orient, sa candidature a déjà affaibli les stratégies guerrières du couple Bush-Rice et donc aussi l'arrogance de l'Etat israélien. Mais au-delà de ces considérations qui intéressent le politologue que je ne suis pas, ce sont les effets à long terme de sa candidature aux USA et dans le monde qui m'interrogent. La société américaine est racialiste et son racisme est quasi-biologique, naturalisé. A ce titre, Obama est une révolution, pas encore ou peut-être pas, de la politique américaine, mais sûrement des mœurs de cette société qui s'est construite sur le massacre des « Native American », les Indiens, l'esclavage et la ségrégation raciale des Noirs, et aujourd'hui la discrimination des hispaniques. Il y a peine un demi-siècle, des écrivains de renom international, des musiciens de l'envergure d'un Duke Ellington, d'un Louis Armstrong ou d'une Ella Fitzgerald ne pouvaient pas dormir, lors des grands concerts qu'ils animaient, dans les hôtels réservés aux Blancs qui accueillaient pourtant les membres blancs, mais moins importants de leur groupe. En 2005, les quartiers noirs de la Nouvelle-Orléans, ravagée par l'ouragan Katrina, ont révélé au monde entier, par les émeutes qui le suivirent, le fossé qui sépare encore les Blancs des Américains de couleur. La présence d'un Noir à la candidature suprême aura des effets incalculables sur la société et les hiérarchies de classes, de couleurs et de cultures qui la composent. Mais ses conséquences dépasseront les frontières des USA. Partout, en particulier en Amérique latine et en Afrique, l'effet Obama redonnera de l'espoir aux « biodominés », les dominés par la couleur de notre monde, et aidera grandement à reconsidérer l'histoire de ces derniers siècles, ceux du monde monde moderne, faite et écrite par lui. Mais pourquoi les Blancs, et plus précisément la minorité WASP (White Anglo Saxon Protestant) qui tient « l'establishment », ont-ils accepté Obama comme candidat et peut-être l'élire comme Président ? Qu'est-ce qu'il donne au change ? Les Wasp sont pragmatiques, c'est « donnant-donnant ». Alors où est le deal caché ? Il suffit de voir les sondages et enquêtes d'opinion dans le monde entier pour le comprendre : Obama est choisi, à plus de 70%, un peu partout, en Europe, en Amérique, en Afrique, en Asie et même au Moyen-Orient malgré ses hésitations. Depuis la guerre contre l'Irak, l'image des USA dans le monde s'était fortement dégradée et son influence mondiale ne tenait plus à sa diplomatie, mais à sa puissance de frappe militaire et économique. La première puissance mondiale, mal vue par le reste du monde, qui plus est dans un cycle accéléré de mondialisation, qui devenait intenable et coûteux. A l'effet dévastateur de Bush, qui restera comme un des plus mauvais présidents américains, Obama sera peut-être en mesure de faire pencher la balance des opinions dans l'autre sens ; en tout cas, il est le seul candidat à le faire. Obama « blanchissant » l'Amérique de ses déboires et de ses crimes, on aura tout vu dans ce nouveau siècle. 2- Evo Morales J'ai lu comme beaucoup d'entre vous le texte envoyé par Evo Morales, président de la République de Bolivie, aux députés européens, intitulé « La directive retour », une directive de la honte. Ce fut un plaisir que j'aimerais partager, tant le texte, échappant à la langue insipide de la diplomatie, mais aussi aux moralismes et autres plaintes des « droits de l'hommisme », est sobre dans son économie, essentiel dans son argumentation, traversé par une noblesse de ton que seul un Indien, un « vaincu non soumis », peut encore avoir. Commençons par la fin : « Recevez tous, autorités, eurodéputés, camarades, un fraternel salut depuis la Bolivie. Et en particulier, notre solidarité envers tous les ‘‘clandestins''. » Voilà, tout est dit dans cette salutation qui affirme sa solidarité avec les clandestins, devenus par la grâce d'une directive des criminels. La directive prévoit en effet un enfermement pouvant aller jusqu'à 18 mois pour les migrants sans papiers avant leur expulsion qui peut les renvoyer au pays de « transit » d'où ils sont arrivés, et pas nécessairement au pays d'origine. Les mères de familles, les enfants sont concernés et tous seront interdits d'entrée en Europe pendant cinq ans. Des millions de personnes sont concernées, mais tout se passe comme si cela ne concernait pas les dirigeants des pays arabes de la Méditerranée qui sont les premiers concernés par la directive. Pourtant, comme l'indique Morales, les revenus (visibles ou non) transférés par les migrants dans leurs pays dépassent les investissement étrangers, tandis que l'apport de ces « sans-papiers » à la croissance économique des pays européens est incommensurable. En France, le secteur du bâtiment travaille avec plus du tiers de « clandestins ». En Espagne, en Italie, que Berlusconi, son Premier ministre, veut doter d'une nouvelle loi définissant la migration clandestine comme crime, les travaux de force dans l'agriculture, le BTP, les services commencent à être une « spécialité » professionnelle des « sans-papiers » que les employeurs « protègent » le temps de leur mise au travail. Cette directive est aussi une atteinte à la déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, mais pour l'heure aucune saisine des institutions internationales ou européennes n'a encore été signalée. Morales indique dans son adresse tous les articles de la fameuse déclaration qui ont été bafoués. Mais UPM oblige, les nouveaux bannis de la mondialisation n'entrent pas, ou peu, dans les négociations en cours et les Etats comme les institutions internationales restent muets sur la question. Les migrants sont, comme le dit Morales, « des boucs émissaires », mais il est prêt à mettre sur la balance « la protection juridique » des investissements étrangers et donc l'interdiction de nationalisation face à « la sécurité juridique » des travailleurs et familles travaillant eu Europe. « Si cette directive retour devait être approuvée (elle l'a été le 18 juin, nda), nous serions dans l'impossibilité éthique d'approfondir les négociations avec l'Union européenne… » et demanderons « une politique migratoire respectueuse des droits de l'homme… » qui répare une fois pour toutes l'énorme dette, historique, économique et écologique que les pays d'Europe ont envers une grande partie du Tiers-Monde. Pour conclure : « Vous ne pouvez pas faillir aujourd'hui dans vos ‘‘politiques d'intégration'' comme vous avez échoué avec votre supposée ‘‘mission civilisatrice'' du temps des colonies ». Merci Morales. PS : Sur les blogs couvrant cet événement, qui a été faiblement repris ou même ignoré par les journaux français, reviennent souvent des commentaires sur « le dictateur », la « corruption », les conflits régionaux. Certains comparant les nouvelles migrations vers l'Europe (ce sont des sous-développés) à celles anciennes de l'Europe vers l'Amérique latine (des sur-développés). Dans la presse belge, on est moins haineux. N. B. L'histoire avance plus vite que les mots qui tentent de la fixer. En effet, quelques heures après avoir envoyé mon texte aux rédacteurs du journal, j'apprends que la lettre adressée par Evo Morales aux Européens a été suivie par une succession de prises de positions des dirigeants d'Amérique latine. Hugo Chavez, Le président vénézuélien, menace de ne plus fournir de pétrole à l'Europe et d'accueillir ses investissements étrangers hors législation nationale, le gouvernement argentin condamne la directive de l'UE, suivi par de nombreuses associations des droits de l'homme, comme la célèbre organisation des « Mères de la place » qui déclare : les mesures discriminatoires que l'on veut prendre avec les immigrants de tous les pays dits du Tiers-Monde, la prison et la déportation, sont des mesures sauvages. En Uruguay, le sénat a voté une motion rejetant un texte qui « constitue une violation des droits de l'homme, notamment le droit à la libre circulation internationale ». Au Pérou, José Garcia Belaunde, ministre des Affaires étrangères, a dénoncé une loi « discriminatoire » qui ne « cadre pas avec la tradition européenne » ; il est suivi par son homologue brésilien dont le pays a reçu des millions d'immigrants qui se sont intégrés à la société. Cette décision contribue à créer une « perception négative de l'immigration ». L'Amérique « bolivarienne » a marqué clairement et fortement son refus d'un texte par lequel les Européens veulent « criminaliser » un droit qui est inscrit dans la déclaration des droits de l'homme qu'ils ont eux-mêmes rédigée, signée et faite signer par des dizaines d'Etats et qu'ils ressortent à chaque fois, pour marquer, à juste titre souvent, les dépassements commis à son encontre. L'UE, ses hommes politiques et ses médias sont pris de court ; cette initiative continentale ne doit surtout pas apparaître comme « un événement ». Une seule réaction officielle, celle de Javier Solana, son diplomate en chef, qui a estimé vendredi « absolument disproportionnée » la menace du président vénézuélien Hugo Chavez de ne plus fournir de pétrole aux Européens après le vote de cette « directive du retour ». Etrange proportionnalité que celle qui élève au-dessus de la valeur des hommes celle du pétrole. Il y a quelques siècles, c'était le pétrole des Incas. Le hasard de l'histoire, aujourd'hui il est heureux , a fait que cette initiative intervient à un moment où l'UE, empêtrée dans le traité de Lisbonne, s'apprêtait à savourer ses succès ambigus en Méditerranée avec la mise en place de l'UPM. Espérons que cette initiative donnera un peu plus de vigueur aux Etats de sa rive sud, les « PSM », comme on dit dans le jargon européen, à défaut de les inciter à s'unir pour mieux se défendre. Les océans du Nouveau monde à la rescousse du Vieux monde méditerranéen, quelle belle « ruse de l'histoire » ! Merci Obama, merci Morales.