Officier parachutiste et spécialiste en armements dans les rangs de l'armée de la Hongrie avant de prendre une part active dans la révolution populaire contre le régime prosoviétique en place en octobre 1956, puis, à l'instar des 200.000 révolutionnaires hongrois fuyant l'armée rouge, il se réfugia, vers la fin de la même année, à Sarrebruck en RFA (Allemagne fédérale) où il travailla dans l'industrie lourde. Stefan Janos, à l'époque âgé d'à peine 24 ans, ne se doutait point que le destin qui l'a éloigné brutalement de sa chère patrie lui réservera un parcours révolutionnaire exceptionnel. Avant de nouer une solide amitié à Sarrebruck avec les Algériens qui y travaillaient, il ne connaît de l'Algérie que le nom. Et pourtant, il a répondu présent à son appel dès 1957. Un demi-siècle après l'indépendance, le Moudjahid Stefan Janos nous reçoit chez lui, dans l'appartement F3 qu'il partage avec la petite famille de son fils au troisième étage d'un des innombrables immeubles de Bach Djerrah dans la wilaya d'Alger. Rongé par l'arthrose et traînant le fardeau des ans et les séquelles qui marquent son corps depuis l'époque de son djihad pour l'indépendance, il n'en demeure pas moins que son moral, ses souvenirs et sa fougue n'ont pris aucun coup de vieux. A 80 ans, il se souvient toujours de son engagement contre l'armée coloniale, de ses compagnons de lutte, dont on peut citer les colonels Houari Boumediene, Tahar Zbiri, Ali Mendjeli, des batailles dans lesquelles il a pris part entre les lignes Challe et Morice, de son passage dans la wilaya I et des journées entières qu'il consacrait à la fabrication des explosifs et à la réparation des armes dans un atelier à Ghardimaou en Tunisie sur ordre du colonel Houari Boumediene après son retour des Aurès. Son témoignage est aussi truffé d'anecdotes qui lèvent un voile sur la vie des djounoud dans le djebel. « Mon histoire avec la révolution algérienne a commencé en Allemagne. Avec des collègues de travail algériens, on évoquait souvent la situation qui prévalait à l'époque en Algérie et les souffrances de son peuple sous le colonialisme français. Cela ne m'a pas laissé indifférent. C'est de là qu'est née en moi l'idée de m'engager dans la révolution. J'ai pris sans hésiter le bateau en partance à Alger. LA RENCONTRE AVEC BOUMEDIENE Aux frontières tunisiennes, il y restera un mois, avant qu'il soit affecté à la wilaya I, pour activer sous les ordres de Tahar Zbiri. « Après un passage dans les Aurès, j'ai regagné la frontière avec Ali Mendjeli. C'est à cette époque, vers la fin de l'année 1957 que j'ai fait connaissance avec le colonel Houari Boumediene », se souvient-il. Son premier entretien avec lui s'est déroulé dans une ambiance courtoise. UN TIREUR D'ELITE Outre ses nouvelles fonctions à la tête de l'atelier à Ghardimaou, Stefan Janos fut aussi un tireur d'élite. A ce propos, il a pu à lui seul mettre en fuite un bataillon de l'ennemi en plein ratissage au lieu dit la Croix à proximité des lignes Morice et Challe. « Le ratissage en question était conduit par un colonel d'origine algérienne du nom de Amar. Ce jour-là, j'ai pris position sur une crête dominant les forces ennemies. De mon poste, j'ai distingué sur une autre crête le colonel Amar. D'un coup de fusil je l'ai abattu. En voyant leur chef mort, les militaires qui prenaient part au ratissage avaient, sous l'effet de surprise, ont pris la fuite dans un désordre indescriptible » se rappelle-t-il. Même au sein de son atelier, le danger n'est pas loin. « On a été victimes de plusieurs accidents. Une bombe de napalm a failli me brûler toute la main, suite à une étincelle que l'un des mes collaborateurs a provoquée avec un mégot », donne-t-il comme exemple. En parlant d'explosif justement, le Moudjahid raconte qu'une fois il a failli perdre la vie lors d'une attaque ciblant une caserne. « Pendant une nuit, mes compagnons de lutte et moi avions été chargés de commettre un attentat dans une caserne coloniale. Après avoir terminé avec la pose des bombes, l'une des sentinelles s'est rendue compte de notre présence et a donné l'alerte. Les balles pleuvaient comme de la grêle dans notre direction. J'ai eu la vie sauve grâce au fils barbelés érigés comme obstacle non loi de la caserne. Arrivé à cet endroit, je me jetai sur le barbelé on faisant semblant d'être mort. A ma vue depuis son poste, l'un des militaires ennemis a ordonné de cessez les tirs tout en disant : « Il a crevé ». Durant une heure et demie, je suis resté immobile sur place et ce, malgré la douleur ressentie », remarque-t-il. De cet épisode, il garde toujours la cicatrice d'une entaille sur la main. JE N'AI JAMAIS EPROUVE LE DESIR DE REPARTIR EN HONGRIE Et ce jour de l'indépendance arriva. « En avril 1962, j'ai traversé la frontière en compagnie de mes frères. Pour nous, la joie de l'indépendance n'a pas de semblable. Ce fut un sentiment de liberté exceptionnel », se souvient-il. Après l'indépendance Stefan Janos intégrera la caserne de l'arsenal de Belcourt à Alger où il travaillera jusqu'en 1966. Et ce n'est qu'au milieu des années 1970 qu'il eut enfin son identité algérienne. « Après l'indépendance, je n'ai jamais éprouvé le désir de repartir en Hongrie. Pour moi, c'était clair, je suis un algérien. L'Algérie est ma patrie. Seulement, il a fallu l'intervention du feu général Belhouchet, alors officier supérieur, pour que je puisse obtenir ma carte d'identité nationale », indique-t-il à ce propos. En 1995, le valeureux Moudjahid avait subi deux opérations au niveau de la hanche pour en finir avec l'handicap qu'il traînait depuis la révolution. « Ils m'ont fixé deux prothèses, l'une de chaque côté de la hanche pour que je puisse remarcher plus au moins normalement » révèle-t-il.