Par Mohamed Ma�rfia, moudjahed (1re partie) L�affaire du 14 d�cembre 1967 n�est pas une �s�dition � militaire foment�e par une poign�e d�officiers �ignares� li�s par des liens de parent�. Elle n�est pas non plus la r�action de maquisards r�volt�s par l�entrisme envahissant des anciens de l�arm�e fran�aise pr�sents dans l�ANP, comme beaucoup ont voulu le faire accroire. Elle est loin d��tre une tentative de coup d�Etat d�clench�e pour �assouvir des ambitions malsaines�, comme le d�montrera l�instruction hautement impartiale du capitaine Mohamed Touati (futur g�n�ral-major de l�ANP). Elle est l�aboutissement fatal des contradictions apparues d�s la venue au monde du ph�nom�ne juridico- politique appel� Conseil de la r�volution. La plus grave de ces contradictions est la pr�sence de militaires cens�s, d�une part, jouer un r�le politique et, d�autre part, respecter l�obligation de r�serve et la discipline. Lorsque s�exprimera une distance par rapport � la ligne trac�e par l�intransigeant tuteur de l�assembl�e de mineurs politiques que ce dernier pr�side, la dynamique n�e des calculs, des surench�res et des ent�tements conduira in�luctablement � l��preuve de force. L�aboutissement sanglant de d�cembre 1967 est la confrontation entre deux visions diam�tralement oppos�es : la premi�re, celle de Houari Boumedi�ne qui veut imposer une construction des institutions inscrite dans le long terme avec lui comme unique ma�tre d��uvre et selon son bon vouloir. Un ma�tre d��uvre qui ne veut �tre comptable devant personne de ses choix et de ses actes. La seconde, d�fendue par Zbiri, propose d�abord un centralisme d�mocratique au niveau du directoire issu du 19 Juin, lequel devait en �r�f�r� aboutir � doter le pays d�institutions �lues en toute libert� par les Alg�riens, sans passer par une p�riode de dictature dont la dur�e serait calqu�e sur la dur�e de l�existence de son architecte. Le temps a d�montr� quelles ont �t� les cons�quences pour l�Alg�rie du parti-pris de Houari Boumedi�ne. La trag�die de 1967 Tahar Zbiri vient de publier ses m�moires. L�homme du 1er Novembre, le compagnon de Mustapha Ben Boula�d, a parl� de son parcours personnel. A l�instar de celui de beaucoup de ses compagnons, ce parcours est plein de bruit et de fureur. Zbiri a �t� de ces hommes qui, malgr� les douleurs et les d�sillusions, ont port� l�espoir de leur pays jusqu�au bout. Parce qu�ils ont �t� � l�avant-garde, les Alg�riens attendent d�eux un r�cit, le plus fid�le possible, de ce qu�ont �t� ces ann�es o� le destin du pays a bascul�. Pour certains, Tahar Zbiri est l�homme qui a tent� de prendre le pouvoir par la force en d�cembre 1967, un putschiste malchanceux ! Pour d�autres, peut-�tre plus avertis, il est celui qui a eu le courage de s�opposer � la dictature et qui est all� jusqu�au bout de sa conviction. Tahar Zbiri �crit. Il parle aussi. Ses contributions sont les bienvenues. Tant mieux pour l�Histoire. Tant mieux pour la v�rit� si ce qu�il dit suscite le d�bat ! C�est dans cette optique que nous avons sollicit� Mohamed Ma�rfia, lequel a �t� au c�ur des �v�nements de d�cembre 1967, pour nous donner son �clairage sur leurs causes profondes, sur leur d�roulement et sur les hommes qui en furent les acteurs. Il le fait sans passion et en gardant � l�esprit � nous a-t-il assur� � ce vieil adage du terroir : �Lorsque les a�n�s habitent encore dans le quartier�� Ceux qui ont v�cu dans leur chair la trag�die du 14 d�cembre 1967 appr�cieront, sans aucun doute, un tel engagement pour la v�rit�. H. M. 1. Un combattant transparent Tahar Zbiri est un Chaoui des hautes collines de l�ouest de Souk-Ahras. Il est n� au douar Oumeladaim, � une coud�e de Sedrata, un gros bourg enrichi par le travail des colons fran�ais. Berb�re jusqu�au bout des ongles, mais acceptant et assumant l�h�ritage arabe ; dans sa famille, on passe du dialecte local � la langue du proph�te aussi naturellement que l�est l�acte de respirer. Alors qu�il est encore enfant, sa famille d�m�nage pour Lekberit, � proximit� de la ville mini�re de Louenza o� il y a du travail. Son fr�re a�n�, hadj Belgacem Zbiri, guide ses premiers pas de jeune militant de la cause ind�pendantiste. Mineur de fond, sa vision politique s�affine au contact des animateurs du syndicat tr�s activiste de la mine de fer et de grands noms du mouvement ind�pendantiste, tels Badji Mokhtar ou Souidani Boudjema�. Pr�sent le 1er novembre, il est arr�t� bless�, et aussit�t jug� et condamn� � mort par le tribunal des forces arm�es de Constantine. Il partage avec Mostefa Ben Boula�d, pendant presque toute l�ann�e 1955, les fers aux pieds, le cachot des condamn�s � mort dans la sinistre prison du Coudiat avant de s�en �vader, en compagnie de ce dernier en septembre de la m�me ann�e. Les fugitifs se s�parent d�s le mur d�enceinte franchi et rejoignent, chacun de son c�t�, l�Aur�s. Les d�sordres que conna�t ce haut lieu de la r�sistance apr�s la disparition de Ben Boula�d, en mars 1956, le contraignent � rejoindre la r�gion qui fut son premier tremplin, la zone de Souk-Ahras. Il arrive au bon endroit, au bon moment. Le colonel Amara Bouglez lui confie le commandement de la troisi�me r�gion qui va du sud de Souk-Ahras jusqu�aux confins nord de T�bessa. Il fait du bataillon plac� sous ses ordres une formation d��lite. Il refuse, en 1959, de s�engager dans l�aventure hasardeuse contre le GPRA qui conduira les colonels Aouachria, Lamouri Nouaoura et le commandant Mostafa Lakehal � la mort. Isol� par Aouachria, mis dans l�impossibilit� d�exercer son commandement sur la troisi�me r�gion, il se retire et se met � la disposition du minist�re de la Guerre. Pressenti, il refuse de requ�rir contre ses anciens compagnons, tout comme il rejette l�id�e de faire partie des juges qui vont les condamner, par contre, il sollicite le privil�ge de les d�fendre. Ce sera l�occasion pour lui de dire, devant le tribunal, certaines v�rit�s au pouvoir d�alors. Son plaidoyer courageux est vain. Le complot dit �des colonels� trouve son tragique �pilogue. Le GPRA lui propose le commandement de la base de l�Est, il refuse. Mille bonnes raisons l�incitent � quitter l�atmosph�re d�l�t�re de la fronti�re. Il demande instamment � Krim une affectation � l�int�rieur. Krim acc�de � sa demande. Zbiri franchit les barrages fortifi�s et rejoint l�Aur�s. Confront� aux cons�quences des crises � r�p�tition qu�a connues le grand massif berb�re, ressentant cruellement la perte du commandant Amar Radjai, mort lors de la travers�e des lignes, en butte � des entreprises subversives multiformes, Zbiri, une fois nomm� chef de wilaya et colonel, r�ussit le remarquable tour de force de remettre de l�ordre dans cette fosse aux vents qu��tait devenu l�Aur�s, o� celui qui n�a ni tribu ni clan ne peut s�imposer, face aux intrigues et aux zizanies, que par le courage physique ou la sagesse. Comme il avait ces deux qualit�s en partage, il fut, lui �l��tranger�, adopt� par les rudes maquisards chaouis. Il op�re une refonte de fond en comble du commandement. Parmi les officiers promus �merge un jeune maquisard dont le calme, le courage et l�intelligence l�impressionnent : Amar Mellah, lequel jouera un r�le de premier plan lors des �v�nements de 1967. 1962. Zbiri engage la Wilaya I des grands maquisards et des h�ro�ques champs d�honneur aux c�t�s de Houari Boumedi�ne et de Ahmed Ben Bella. L�inestimable caution morale de l�Aur�s p�sera lourd dans le rapport de forces. Prisonnier d�une dynamique dont il n�est pas le ma�tre, Zbiri sera entra�n� dans les affrontements sanglants de l��t� de toutes les discordes. S�il est vrai qu�il fut sur le th��tre des combats fratricides, jamais, par contre, il ne prendra une arme. Seul, debout au milieu de la route, entre A�n Lahdjel et Sidi A�ssa, alors que les balles sifflaient et marquaient d�impacts l�asphalte, il r�p�tait le m�me mot, pr�monitoire, �karitha !� �karitha !�. 1963. Zbiri est commandant de l�Ecole interarmes de Cherchell. Au contraire des autres chefs de wilaya qui refusent de quitter leur poste, il accepte sans broncher sa nouvelle affectation. C�est un combattant de l�int�rieur, beaucoup plus proche par l�exp�rience et la sensibilit� de Hassen Khatib, de Mohamed Oulhadj et de Salah Boubnider que de Boumedi�ne, malgr� les gages de 1962. Ben Bella, � la recherche d�alternative � son t�te-�-t�te d�sormais difficile avec Boumedi�ne, nomme, sans crier gare, Zbiri chef d��tat-major. Le nouveau promu re�oit l�annonce comme un beau paquet de probl�mes, plut�t qu�autre chose ! A Moscou, o� il apprend qu�il a d�sormais un rival potentiel, Boumedi�ne a quelques mots, mais affubl�s d�un nombre incalculable de points de suspension : �Ils ne sont pas logiques !� Il sait que Ben Bella vient de concocter une nouvelle tentative de division de l�arm�e. Il appr�hende d�j� ce qui en sortira� 2. L�homme qui venait de loin Issu d�une famille pauvre install�e dans une r�gion marqu�e par les innombrables exactions des Maltais de Guelma, �lev� � la dure par un p�re vivant d�un petit n�goce de peaux, Boumedi�ne a grandi dans la puanteur des d�pouilles mal conserv�es des moutons, se suffisant, � longueur d�ann�e, d�un quart de galette et d�un broc de petit lait. La pitance quotidienne de l�immense majorit� des campagnards. Il en gardera une haine farouche des �bourgeois�. L�effroyable r�pression du 8 mai 1945, et la d�faite des arm�es arabes en Palestine marqueront d�un impact douloureux la surface lisse, plane, terne, monotone des ann�es de jeunesse. Ces deux traumatismes marqueront � jamais sa m�moire. Ils expliquent le c�t� inconditionnel, entier, presque passionnel, de sa d�marche de militant de la cause ind�pendantiste et, plus tard, de dirigeant politique. L�incendie, le sang et les larmes, les r�les d�agonie qui s��levaient des fosses communes forgent sa vision cosmogonique de ce qui l�entoure. Elle est simple, manich�enne, invariable : l�existence de deux mondes que tout oppose, le sien : faible et exploit� ; l�autre, violent et dominateur. Le fondement et les constantes de sa pens�e politique d�couleront de cette certitude. Il vient � l�ALN par la mer. Ses d�tracteurs diront : �De la nuit et du brouillard.� A la fin de l�hiver 1955, dans une crique du rivage oranais, non loin du Maroc, par une aube grise, froide et pluvieuse, un bateau furtif, rempli d�armes et de munitions, accoste. Un homme grand, maigre, aux traits anguleux en descend. Il vient d�Egypte, chaudron bouillonnant de tous les nationalismes arabes fondus, confondus, imbriqu�s dans une seule et tragique aspiration : la lutte arm�e, partout et par tous les moyens. Le verbe br�lant de Nasser, l��cho des mausers de l�Aur�s, les clameurs du Rif marocain et des foules tunisiennes font fr�mir toute une g�n�ration. La d�l�gation ext�rieure du FLN en Egypte n�a que faire de recrues, Houari Boumedi�ne, jeune �tudiant, �conduit plusieurs fois, se jette litt�ralement � la mer. Il fait le maquis � l�Ouest. �Calme� d�abord, l�Oranie s�embrasera � son tour � l�instar de l�Aur�s, du Nord constantinois et de la Kabylie. Il rencontre Ben M�hidi, Lotfi et surtout Boussouf. Le futur cr�ateur du Malg remarque cet homme s�rieux et taciturne. Ils sont tous les deux �trangers � la r�gion. Leur connivence rapide est l�addition de deux solitudes. Les affinit�s de terroir les rapprochent. Comme la concurrence est faible, il prendra vite du galon, s�affirme dans les fonctions qu�il assume. Boussouf, qui sait appr�cier l�efficacit�, en fait son adjoint. L��tat-major de la Wilaya V s�installe au Maroc fra�chement d�barrass� de la tutelle fran�aise. C�est pour Boumedi�ne le d�but de la tr�s longue hibernation aux confins ext�rieurs de l�Alg�rie en guerre. Le CCE (Comit� de coordination et d�ex�cution), institu� par le Congr�s de la Soummam, commence son programme de restructuration, de remise en ordre et de renforcement de l�ALN. Boumedi�ne visite la Tunisie au milieu de l�ann�e 1957. Le colonel Bouglez, patron de la base de l�Est, lui fait faire �une tourn�e des popotes�. Il visitera, entre autres, l��cole des artificiers de Sakiet-Sidi-Youcef et les camps d'entra�nement de l�ALN implant�s tout le long de la fronti�re. Il parle devant les cadres r�unis par Bouglez � Souk-El-Arba�. Le premier contact avec la r�gion, o� il allait vivre si longtemps et dont il fera son tremplin pour la prise du pouvoir, est � son avantage. C�est l� qu�il rencontre pour la premi�re fois Zbiri, chef d�une unit� d��lite le 3e bataillon de la base de l�Est. (On se souvient que Zbiri �tait revenu de l�Aur�s fin 1956). Zbiri est s�duit par la personnalit� de cet homme qui situe le combat qu�ils m�nent dans une perspective qui d�passe les fronti�res de leur pays. Le Tiers-Monde encha�ne et la Palestine, la Palestine surtout !... �Chkoun hadh lyabess ?� se demandent les rudes maquisards de la base de l�Est frapp�s par la silhouette efflanqu�e de l�homme, les traits de son visage, son nom, la tonalit� de son discours et son accent. Des �k� transform�s en �g� et des �ou� contract�s en �e� qui transforment le sens des mots. �goult el hem� (j�ai pr�ch� la mis�re) �jebt el hem� (j�ai ramen� la mis�re). Jamais programme n�a �t� d�clin� avec aussi peu de mots !� se gaussent les pamphl�taires qui peuplent la p�riph�rie du commandement de la base de l�Est et qui sont f�rocement attentifs aux �anomalies� du langage de leurs sup�rieurs. Les proph�ties les enchantent. Le visage de Houari Boumedi�ne, qui restera ind�l�bile pendant les dix ann�es difficiles qui l�attendent, n�est pas de ceux qu�on oublie. Le front immense est d�garni. Le fusain l�ger des sourcils s�estompe � la naissance du nez, net et droit, dans deux plis de peau, deux rides. Les pommettes sont hautes. Les joues sont �maci�es. La main droite, souvent pos�e en �cran devant une lippe lourde et malgracieuse, cache, pudiquement, des crocs d�chauss�s et jaunis. Ce visage anguleux, taill� � coups de serpe, est rendu plus s�v�re encore par des yeux petits, sans cils d�o� fulgure un regard vif, ac�r�, m�fiant, qui va au-del� des apparences, diss�quer mettre � nu, impitoyablement, tous les ressorts secrets du vis-�-vis. Les deux pr�noms d�emprunt qu�il porte sont ceux de deux v�n�rables saints de l�Oranie. L�homme estil superstitieux ? Ou bien le but qu�il s�est d�embl�e fix� n�cessite-t-il des patronages de bon augure ? Il parle sobrement et son discours est fluide et a�r�. L�argument toujours porteur. De toute son attitude se d�gage une observation studieuse de ceux qui lui font face. Il pose des questions pr�cises sur celui qui retient son attention comme si d�j� il dressait son fichier. Au moment o� Houari Boumedi�ne arrive en Tunisie, l�ALN n�a pas encore d�pass� ses moments difficiles. Le quotidien fait d�intrigues, de r�gionalisme et de clanisme amoindrit toujours sa valeur combative. Krim a fait �norm�ment de choses mais tant de choses restent encore � faire� Boumedi�ne repart pour le Maroc par la voie des airs, via l�Italie et l�Espagne. Il succ�de � Boussouf, lorsque ce dernier, promu au CCE, quittera son commandement occidental. Une intense activit� commence pour Houari Boumedi�ne, d�sormais chef de wilaya et colonel. Il organise les r�gions frontali�res en profondeurs strat�giques. Il am�liore ce qu�a cr�� Boussouf : structures administratives, camps d�entra�nement, d�p�ts d�armes, �tend l�emprise de l�organisation sur la communaut� alg�rienne vivant au Maroc, toujours tr�s proche de Boussouf, lequel garde un pied dans son fief d�origine. Cette proximit� avec Boussouf et le contr�le absolu qu�il exerce sur les bases de l�ALN et les structures du FLN au Maroc l�am�neront � participer directement (par la mise en place des moyens n�cessaires et quelques fois par sa pr�sence personnelle) � l�ex�cution de toutes les basses �uvres du CCE. Le CCE poursuit son action par la cr�ation en avril 1958 d�un directoire de commandement unifi� : le COM (Comit� op�rationnel militaire) avec � sa t�te Mohammed-Sa�d Nasser, � l�Est, et Houari Boumedi�ne � l�Ouest. Ce Comit�, malgr� des efforts m�ritoires et quelques succ�s, n�a pu emp�cher l��dification des fortifications fran�aises sur les fronti�res, connues sous le nom de lignes Morice et Challe qui saigneront l�ALN � blanc. Des milliers d�hommes p�riront dans les tentatives de franchissement des glacis d�fensifs, un d�sastre. La r�bellion des colonels Lamouri, Nouaoura, Aouachria et de leurs compagnons, la reddition de Ali Hambli, les h�catombes dans l�enchev�trement des barbel�s sont � mettre en grande partie au d�bit du COM. Le COM, c�est l��chec personnel de Belkacem Krim par les hommes qu�il a impos�s et par son �loignement personnel du th��tre des combats. Il lui en sera tenu compte le moment venu� Le COM qui a �puis� ses possibilit�s est disqualifi�. L�exp�rience d�un directoire militaire coll�gial r�unissant une dizaine d�officiers s�est r�v�l�e inop�rante. L�option d�un commandement unique est retenue pour moins de zizanies et plus d�efficacit�. Boumedi�ne est rappel� du Maroc pour devenir le g�n�ralissime dont l�ALN a tant besoin. C�est Boussouf qui le propose � la t�te de l��tat-major, pensant que son ancien adjoint ne saurait �tre autre chose qu�un alli� docile, � m�me de s�ins�rer dans le canevas compliqu� de son vaste et discret syst�me. Le d�bonnaire Bentobal acquiesce, puisque le candidat est �un pays�. Krim n�a pas �t� difficile � convaincre. Boumedi�ne n�a-t-il pas fait la preuve de son engagement � ses c�t�s ? N�est-ce pas lui, grand, droit, mince, inflexible comme un glaive qui a pr�sid� le tribunal de Goumblat qui a envoy� � la mort, par le garrot, toute une charret�e de colonels? N�est-ce pas lui encore qui a frapp� d�une main de fer toutes les r�bellions, toutes les dissidences � l�Ouest ? Sa r�putation de patriote passionn� et impitoyable lorsque l�int�r�t de la R�volution est en jeu n�est plus � faire. Il est d�sormais chef d��tat-major. A l��poque, l�histoire se faisait � l�Est. Il est d�j� le ma�tre de l�Est. Son destin est en marche� Son intelligence se r�v�le d�embl�e dans la m�thode. D�abord s�installer au contact imm�diat des combattants. Au contact de l�Alg�rie, ensuite s�entourer d�une �quipe ! Lorsque Houari Boumedi�ne acc�de au commandement supr�me de l�arm�e, les bureaux techniques lanc�s par Amara Bouglez, les centres d'entra�nement, les fabrications militaires, les grandes norias d�armes et d��quipement fonctionnent � plein r�gime. Il exploite imm�diatement, � l�avantage de l�ALN, les structures auxquelles Belkacem Krim a consacr� le meilleur de son temps. L�ancien chef de la Wilaya III, usant tour � tour de persuasion ou de brutalit�, a �lagu�, �mond�, taill�, souvent dans la chair vive, pour tenter de faire d�une arm�e, aux mains de seigneurs de la guerre indisciplin�s et frondeurs, un outil moderne et performant. 3. Les silences du colonel Boumedi�ne Dans la p�nombre confortable o� les strat�gies s��laborent, il est aux aguets, � l��coute, vibrant int�rieurement au gr� des moindres p�rip�ties, mais sans en rien laisser para�tre son sentiment profond. Il ma�trise ses �motions. Le silence o� il se compla�t et la moue perp�tuelle plaqu�e sur le bas du visage ne sont que des faux semblants, un masque affect�. Il force le trait � son avantage pour mieux cultiver l��nigme de ses origines, de son caract�re et de ses desseins. Connaissant les maquisards, il sait qu�ils sont imbus de leurs ann�es de maquis, cette carapace dure et r�che qui en fait des partenaires impossibles et des adversaires coriaces. Il leur pr�f�re des cadres plus jeunes, frais �moulus des lyc�es du Maroc et d�Alg�rie ou des �coles militaires fran�aises, intelligents, capables et disciplin�s. Les transfuges de l�arm�e fran�aise, �venus trop tard pour asseoir une glorieuse r�putation�, selon ceux qui les jalousent, et qui seront toujours d�crits par ces derniers comme des �ralli�s� de la derni�re heure, tout juste bons � apprendre aux jeunes recrues � marcher au pas, il saura utiliser leur l�gitime ranc�ur pour en faire, � des postes de plus en plus importants, les �l�ments les plus solides de la structure de son syst�me. Les jeunes issus de la vieille �migration alg�rienne au Maroc et qu�il a ramen�s dans ses bagages, d�j� fa�onn�s � l��cole rigoureuse de Boussouf, seront les rouages d�une machine efficace de prise du pouvoir d�abord, de gestion du pays ensuite. Cette �quipe soud�e autour de sa personne comme une garde rapproch�e sera la cohorte solide o� il puisera son inspiration, retrempera son optimisme. Ses membres ne confondant pas le rang avec la place ne seront jamais ses concurrents ni ne pr�tendront relever d�autres d�fis que ceux qu�il s�est lui-m�me assign�s. Lorsque plus tard, l�un ou l�autre de ceux qu�il a distingu�s et rapproch�s de sa personne pr�tendra agir de son propre chef, hors le cercle prot�g� qu�il a trac�, il laissera le t�m�raire seul face � la meute de chiens. (Moussa Hassani en saura quelque chose). Comme il frappera impitoyablement quand l�un deux, proche parmi les proches, s�oubliant jusqu�� confondre corps de garde et jardin secret, osera passer de l�autre c�t� du mur et pr�tendre y imposer son inconvenante censure. Son g�nie, c�est que la soudure, l�homog�n�it� de l��quipe avec laquelle il vaincra tous les obstacles et prendra le pouvoir s�est faite autour d�un programme politique, �conomique et social et d�un principe �l�gitimant� : �Nous qui avons fait plier l�ennemi sommes les seuls dignes de prendre en main les destin�es de l�Alg�rie.� La l�gitimit� r�volutionnaire primant la l�gitimit� historique ! L��quipe est �tag�e. Le premier niveau, la base, le socle, compte � peine une demi-douzaine de privil�gi�s. C�est la quintessence de son escadron qui poin�onnera au cachet sec la longue, longue feuille de route de son futur r�gime. Ses adjoints directs : A. Mendjeli, Ka�d Ahmed, A. Zerari n�appartiennent pas � ce c�nacle. Ce ne sont que des seconds d�sign�s par le pouvoir politique et qu�il est parvenu, un temps, � circonvenir. Ils le quitteront plus tard, d�s qu�il commencera � incurver sa route. Quand il ne d�ambule pas seul, la d�marche l�g�rement heurt�e, le regard lointain, perdu dans de profondes cogitations, il �apprend� par c�ur les hommes en provoquant leurs confidences et en les �coutant parler. Il trie, r�pertorie, note dans un petit coin de sa m�moire ce qui m�rite d�y demeurer, sans doute pour s�en servir le jour o� il commencera � �difier son propre enclos et � hisser ses propres couleurs. Observateur attentif des jeux mortels du s�rail alaouite, il a appris dans le microcosme des camps de l�ALN install�s au Maroc que la politique est un labyrinthe compliqu� et impitoyable et que les ronces de ce d�dale sont les passions des hommes. L�art, lorsqu�ils se font jour, c�est de les faire converger en sa faveur. Dire que d�embl�e, il a vis� le pouvoir supr�me et qu�il �tait d�j� en mesure de regarder et de voir plus loin pour son propre compte ne serait ni aventureux ni pr�somptueux. Les hommes du gotha de la r�volution, sur le haut du glacis o� il est pour l�instant et dont il n�aimerait pour rien au monde descendre, sont divis�s par lui en trois cat�gories. La premi�re est compos�e de ceux dont il craint les entreprises ou la concurrence. Ils sont l�gion. L�Est, c�est le trop-plein de baroudeurs, la chienlit historique, la zizanie atavique, la migraine quotidienne. Il les conna�t d�sormais un par un. Ils ne lui feront jamais illusion. Il saura les neutraliser plus tard, pour la qui�tude de sa dictature, gr�ce � un �pr�t� bancaire, un aller simple pour l�exil ou un cul de basse fosse. La seconde, c�est la pi�taille sans culture et sans ambition, bonne � tout faire dans les r�gimes autoritaires, la troisi�me enfin ainsi que nous venons de le voir est faite d�oiseaux rares qui poss�dent l��tincelle cr�atrice ; apprivois�s, ils seront le foyer o� �closent les id�es et se forgent les strat�gies. M. M.