Elle a reconnu que ce travail n'a pas été une sinécure, d'autant que celles qu'elle a interrogées n'ont pas donné de réponse convaincante sur la vraie signification des signes qu'elles portaient sur leurs corps. « Lors de mes périples dans des villages kabyles, les femmes éprouvent une gêne à me donner une explication sur certains tatouages. Elles n'arrivent même pas à donner une explication scientifique, ethnographique ou philosophique du tatouage », s'est-elle souvenue. « Le signe M, pour une Berbère, signifie la honte, la gêne, parce qu'il symbolise le sexe d'une femme. Il en est de même pour un certain nombre de tatouages », a-t-elle affirmé. L'écrivaine, pour autant, n'a pas baissé les bras. Au contraire, elle a persévéré de plus belle, et son acharnement à percer le mystère de la symbolique du tatouage a payé. « C'est à travers de petits repères que j'ai trouvé, par comparaison, le sens de certains tatouages. Certains signes ont un aspect ésotérique, presque mystique », a-t-elle soutenu. Il faut dire que Lucienne Brousse a sauvé de l'oubli un pan entier de notre culture. « Une amie à moi, qui était infirmière dans les régions de Touggourt, Biskra et Barika, a dessiné à la main, sur des petits bouts de papier différentes formes de tatouages vus sur les mains et les cous des femmes de ces régions. Elle n'en a pas fait un usage commercial, mais pour son propre plaisir. Sentant sa mort venir, elle a voulu s'en débarrasser. Et lorsque je lui ai rendu visite, je me suis rendu compte de l'importance de ce qu'elle a réalisé. Et j'ai pris la décision d'écrire un livre en expliquant le sens des tatouages », nous a déclaré l'écrivaine, samedi dernier en marge d'une vente-dédicace organisée à la bibliothèque « Les mots », à Alger. Lucienne Brousse qualifie son travail de modeste contribution de témoignage sur un patrimoine qui, s'il n'est pas utilisé ces derniers temps par les femmes, est repris à une large échelle par les peintres. Lucienne Brousse a écrit dans un passage de son livre que « les significations de ces symboles peuvent être estompées, il en reste comme une magie, un sens de l'équilibre et de la beauté des formes ». De son côté, Sabah Ferdi, chercheur au Centre national de recherches anthropologiques et historiques, souligne dans la préface du livre : « C'est d'ailleurs le grand mérite de Lucienne Brousse de dévoiler ce pan exceptionnel autant que méconnu de notre patrimoine immatériel. L'ensemble des tatouages que Lucienne donne à contempler dans son livre est un témoignage culturel précieux autant qu'un hommage appuyé à la féminité maghrébine ». C'est un livre fourni qui lève le voile sur un des éléments de notre identité.