Certains, dont des politiques français, n'hésitent pas à désigner les géants de l'Internet, notamment le site marchand Amazon.com, d'être à l'origine de la faillite des distributeurs de produits culturels dont l'emblématique enseigne Virgin Megastore, placée cette semaine par le juge en redressement judiciaire avec une période d'observation de quatre mois, à laquelle personne ne veut réellement croire, au regard de la lourde tendance de ces dernière qui ont vu de nombreux distributeurs de produits culturels déclarer faillite. « La dématérialisation du commerce va-t-elle sonner le glas d'enseignes physiques traditionnelles ayant longtemps eu « pignon sur rue » et désormais à la peine dans le monde entier, en Europe mais également aux Etats-Unis, véritable laboratoire de l'avenir du commerce à l'ère du tout connecté ? » s'interroge un journaliste spécialisé sur le site du quotidien français Libération qui estime que le secteur de la distribution physique des produits culturels « a tout d'un champ de ruines. » Il est vrai que le nombre de commerçants contraints de subir l'effet « d'une mutation numérique d'une violence rare ne cesse de s'allonger. » Sous la double influence de la crise et d'une inexorable poussée d'un e-commerce qui va encore croître de l'ordre de 20% cette année, et touche désormais à des degrés divers tous les secteurs, bon nombre d'enseignes ont déjà mordu la poussière. En France, avant Virgin, Surcouf, spécialisé dans la high-tech, a disparu l'an dernier, liquidé faute de repreneur, et Darty, leader de l'électroménager, accuse un recul de son chiffre d'affaires de 3,9% au second semestre 2012. Détenu à 74% par le fonds d'investissement Butler Capital Partners et à 20% par la société Lagardère, le cas Virgin a suscité de nombreuses réactions à l'annonce du dépôt de bilan de l'entreprise. A commencer par la ministre de la Culture française, Aurélie Filippetti qui y a vu « l'œuvre d'une concurrence déloyale de la part d'un acteur de poids : le géant américain de l'e-commerce Amazon. » Sur une tonalité similaire sa collègue ministre déléguée en charge de l'économie numérique, Fleur Pellerin, a vu qu'un « certain nombre d'acteurs du e-commerce profitent du fait que leur siège est situé au Luxembourg, ou dans des pays disposant d'une fiscalité plus favorable qu'en France ». Conséquences, ils peuvent proposer des produits dont le taux de TVA est différent de celui appliqué par la Fnac, ou d'autres acteurs localisés en France. Amazon serait-il le seul coupable de cette déferlante de déchéances commerciales et marketing ? Le site ecommercemag.fr cite François Momboisse, président de la Fédération française du e-commerce et de la vente à distance (Fevad), pour qui « l'Etat français n'a pas tort de dire qu'il existe une distorsion de concurrence liée à un problème de fiscalité. Mais 99,9% des e-commerçants français ne sont absolument pas concernés par ce problème ». Il affirme en outre que les difficultés actuelles de Virgin correspondent davantage à un changement des comportements d'achats des consommateurs, désormais plus favorables au canal de vente Internet. Ce point de vue est également partagé par Fleur Pellerin, mettant en cause, par ailleurs, le propriétaire de Virgin : « Un actionnaire qui ne transforme pas une entreprise commercialisant des produits culturels, en ne l'adaptant pas à l'ère numérique, est fautif », allant même jusqu'à considérer qu'il s'agit là d'une « faute de management ». L'un des premiers redéploiements imposés à quantité de distributeurs classiques comme la Fnac, Best Buy et même Wal-Mart l'américain, la résistance à la déferlante Amazon, leader du commerce en ligne, ne peut se faire sans « un alignement sur les tarifs du cybermarchand, mais au prix d'une compression des marges synonyme de chute sans fin de la rentabilité. Une stratégie risquée mais sans guère d'alternative si ces enseignes veulent conserver leurs clients, surinformés et désormais capables de comparer les prix en temps réel en magasin grâce à leur smartphone ». Virgin est confronté depuis plusieurs années, comme d'autres distributeurs spécialisés, à la chute de ses marchés traditionnels, comme les CD et les DVD. En deux ans, le groupe a déjà réduit ses effectifs de 200 salariés. C'est désormais les 1.000 autres qui travaillent dans les 26 derniers magasins français qui voient aujourd'hui leur avenir incertain. Outre les magasins Virgin, ceux de la Fnac non plus n'ont pas de quoi voir l'avenir en rose. Victime du téléchargement illégal, de la concurrence du e-commerce et de la dématérialisation croissante des produits (musique, vidéo...), l'enseigne a réalisé un chiffre d'affaires en baisse de 3,2 %, en 2011, tandis que son résultat opérationnel courant s'écroulait (-7,5 millions d'euros au premier semestre 2012). Pourtant, dès 2011, un plan d'action baptisé « Fnac 2015 », a été déployé, avec comme grandes lignes, « d'élargir l'offre produits aussi bien culturels que technologiques, en basculant dans le même temps sur un modèle centré sur le client et notamment les familles ». Les principaux leviers utilisés sont : l'accroissement de son réseau de magasins (30 ouvertures programmées en cinq ans), le renouvellement de leur concept, l'ouverture d'un univers enfant dans chaque point de vente, et naturellement, l'accélération de la stratégie digitale multicanal en créant des ponts entre l'activité web (15% du CA de l'enseigne), mobile et les points de vente. Rien n'y fait, en 2011, son chiffre d'affaires a donc baissé de 3,2% par rapport aux 4,47 milliards générés en 2010. Conséquence, un plan d'économies de 80 millions d'euros comprenant des réductions de frais généraux et la suppression de 310 postes en France, a été mis en place début 2012. De manière générale, les difficultés des distributeurs sont à lier avec les nouveaux modes de consommation des produits culturels imposés par Internet la et les supports dématérialisés. Il y a dix ans, les ventes de CD atteignaient leur maximum, soit 150 millions d'unités et 95% des achats de musique. En 2010, ce support n'en représente plus que 49%... Le site du journal HuffPost rapporte des informations émanant du SNEP (Syndicat national de l'édition phonographique), selon lesquelles « les ventes de disques ont chuté de plus de 50% depuis 2005. Une chute qui a surpris les acteurs traditionnels de la distribution, qui ont bien du mal à trouver un nouveau modèle ». Le constat est que « les consommateurs boudent désormais les magasins et préfèrent acheter ou télécharger (légalement ou illégalement) les CD ou les DVD sur Internet. Notamment les plus jeunes (18-24 ans) qui sont 62% à regarder des films en streaming » révélait le Credoc (Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie) au premier semestre 2012. « Selon le cabinet GfK, près d'un quart des Français a déjà acheté un produit culturel dématérialisé, et les ventes dans ce secteur se font désormais à 18% sur internet ». Peut-on lire sur le site de L'Expansion.com qui ajoute que « la musique est particulièrement touchée, avec 30,4% des ventes qui se font désormais en ligne ». DVD et livres prennent le même chemin, avec 14% des Français choisissant le téléchargement, tandis que 23% regardent films et séries en streaming (en flux continu), selon le Credoc. Sans compter le piratage. « Il est évident que le commerce de biens culturels est en grande difficulté, mais cela n'explique pas tout », relève Yves Marin du cabinet Kurt Salmon. Face à ces mutations, les géants du Net pointés du doigt ont la donne entre les mains. Avec une offre exhaustive, des frais de port offerts et un temps de livraison record, Amazon s'impose comme le ténor du marché, qu'il domine avec ses 20% de parts. « Amazon fait peur à tout le monde », concède un professionnel du secteur cité par HuffPost, citant la force de frappe du groupe américain et son excellente logistique. Il faut dire que la Fnac ou Virgin peuvent difficilement rivaliser. Les recettes des activités commerciales françaises d'Amazon sont allouées au siège européen du groupe au Luxembourg, où la fiscalité est plus légère. Cette particularité fiscale permet à Amazon, mais surtout à Apple, de conserver des marges correctes sur la vente de musique en ligne. Pour les acteurs français traditionnels, « c'est un marché à faibles marges que ne rapporte pas grand chose », note un spécialiste de la vente de biens culturels. En conclusion, certains tempérent l'impact des géants du Net. On retrouve en effet sur le site www.la-croix.com les propos de Jérémie Herscovic, ancien consultant dans la distribution et président de SoCloz, organisateur de shopping en ligne : « Certes Virgin subit de plein fouet les difficultés du secteur, mais pour autant il ne faut pas en conclure que c'est le marché qui a tué Virgin. C'est plutôt lui qui n'a pas su faire les bons choix et s'adapter aux évolutions ». Selon lui, Virgin, contrôlé par le fonds d'investissement Butler Capital Partners, n'a pas su renouveler à temps son offre de produits, s'accrochant à la trilogie CD-DVD-livres dans ses magasins. Parallèlement, son offre en ligne, centrée sur le téléchargement, l'a mis en concurrence directe avec le géant du secteur, Apple, et au piratage, l'empêchant d'être rentable ».