Outre les expositions dédiées à la dinanderie, l'habit traditionnel ou encore aux bijoux, organisées au palais du Bey et à la maison de la culture Mohamed El Khalifa, le savoir-faire des artisans sera débattu dans des conférences d'universitaires, une première dans la ville des Ponts. Les organisateurs ont aussi intégré au programme la célébration de la Journée du savoir du 16 avril. Au-delà du cachet officiel de la manifestation, c'est surtout l'occasion pour les artisans de sortir de l'ombre, pour y rencontrer le public et exhiber leur savoir-faire. Les artisans saluent au passage l'initiative des autorités locales, mais revendiquent tout de même le droit de travailler dignement dans une ville qui comptait au siècle dernier pas moins d'une centaine de métiers artisanaux. Aujourd'hui, ils sont de plus en plus rares à s'aventurer dans un domaine aussi instable et menacé de disparaître comme nous l'explique Manel qui tient un atelier de broderie d'habit traditionnel : « C'est de plus en plus dur de trouver des gens de métier. Les jeunes femmes issues des centres de formation apprennent, certes les bases de la broderie, mais on doit les former une ou deux années, le temps d'apprendre les techniques de la broderie des robes traditionnelles par exemple. Peu d'entre elles poursuivent l'expérience, faute de moyens financiers pour les payer les premiers mois, certaines viennent dans le seul but de profiter de notre savoir-faire. » Manel, qui en est déjà à sa quinzième année d'expérience, nous révèle toutefois que son atelier commence à avoir une certaine notoriété et que son activité est en plein boom : « Nous avons intégré une association qui regroupe plusieurs ateliers de broderie. Nous avons ouvert une boutique en ville et nous travaillons exclusivement sur commande pour les fêtes de mariage. » Comme elle, les artisans de Constantine ont beaucoup de peine à faire face à la concurrence déloyale des importateurs, des produits similaires de piètre qualité mais à des prix plus intéressants. La menace des produits importés Adel, 35 ans, est un dinandier qui a profité d'un crédit Angem. Il perpétue ce métier initié par son frère, et exerce aujourd'hui avec talent sa profession en respectant à la lettre la tradition. Il fabrique des objets utilitaires et décoratifs et expose aujourd'hui ses produits à la maison de la culture Mohamed El Khalifa à l'occasion du mois de patrimoine. Il occupe depuis peu un petit local à Bardo, là où s'entassent depuis des années les derniers dinandiers et les antiquaires de la ville. En dépit de certains problèmes, les affaires marchent pour Adel : « Je gagne bien ma vie même si la feuille de cuivre est chère. Heureusement que les prix sont subventionnés, j'ai bénéficié d'un crédit de 15 millions de centimes pour démarrer. Nous sommes une soixantaine de jeunes dinandiers à avoir bénéficié d'une aide dans le cadre de l'Angem. Hélas, beaucoup ne peuvent pas retirer leur carte d'artisan parce qu'ils n'ont pas de local. La location d'un petit local reste au-dessus des moyens d'un jeune qui veut se lancer. Cette carte professionnelle remplace le registre du commerce, donc sans elle, on ne peut avoir un crédit bancaire. » Les obstacles qui se dressent sur la route des dinandiers ne sont pas que matériels et administratifs, tous redoutent la menace des produits importés ; dans leur cas, c'est l'Espagne qui est le principal fournisseur du marché des revendeurs : « Notre seule consolation est que les gens font tout même attention à l'origine du produit. Ils préfèrent l'artisanat local parce que nos pièces sont uniques et notre savoir-faire est différent. Nous voyons toutefois les produits espagnols de plus en plus chez les commerçants, c'est une concurrence déloyale parce que les feuilles de cuivre reviennent moins cher aux artisans espagnols et turques. » Pour sa part, Mohamed, vannier, travaille dans un petit local de 8 m2 à la vielle ville Souika. Il tient tête aux produits importés principalement de Chine et de Tunisie. Les chaises, les tables, les miroirs, les corbeilles ou les flacons en osier qu'ils fabriquent sont plus robustes et de meilleure qualité : « Le kilo de la matière première est de 950 DA. Le coût d'un panier me revient à 1.800 DA, alors que le même produit chinois avec les mêmes dimensions se vend à 1.000 DA. Certes, les produits tunisiens sont de bonne qualité, j'encaisse difficilement cette compétition, mais c'est la qualité qui fait la différence. J'ai des clients qui me sont fidèles, ils me connaissent depuis des années et passent des commandes surtout lors des fêtes de mariage. » Le métier de vannier est une affaire de famille, Mohamed, qui a hérité de l'atelier de son père, a réussi à convaincre ses deux fils à apprendre le paillage et remplissage de l'osier, mais nous avoue : « C'était difficile de les convaincre, mais au moins j'ai réussi. Aujourd'hui, ce qui entrave mon métier, c'est mon atelier qui se situe à la vieille ville Souika dans une rue délabrée et en ruine. Rares sont les personnes qui s'aventurent à venir visiter mon local parce que c'est dangereux et isolé. » L'avenir de Mohamed, Adel et Manel sera toutefois meilleur. Aux dernières nouvelles, la caserne militaire de la Casbah, qui occupe un grand espace au centre-ville, a été rétrocédée à la wilaya et accueillera, selon nos informations, les artisans de la ville. Une bonne nouvelle pour les dinandiers de Bardo et les quelques artisans de Souika qui seront délocalisés dans un nouveau lieu plus spacieux et plus adapté à accueillir les visiteurs et les touristes. Cette décision intervient à l'occasion du grand événement Constantine, capitale de la culture arabe 2015. Constantine compte officiellement, selon la Direction du tourisme et de l'artisanat, 2053 inscrits en 2012 dans toute la wilaya.