L'Allemagne est en colère. Très déçue de son vieil « ami américain », elle s'interroge légitimement sur la « confiance ébranlée » par le scandale de l'espionnage américain frappant, selon le quotidien britannique The Guardian, un total de 35 dirigeants dans le monde. Merkel a été mise sur écoutes depuis 2002 et l'était encore, révèle le quotidien Der Spiegel, citant des documents de l'agence nationale de sécurité (NSA) américaine, quelques semaines seulement avant la visite du président Obama à Berlin, en juin dernier. L'alibi des attentats, déjoués grâce aux communications interceptées, brandi par Obama, n'a pas trop convaincu. La digue a rompu. Le coup de semonce a été amorcé par le quotidien Frankfurter allgemein Zeitung (FAZ). « Dans un partenariat, il faut être deux », fait-il remarquer. Il a souligné que « le froid Obama ne doit pas refuser d'expliquer ce qui s'est passé et doit montrer des signes d'un changement de cap, c'est dans l'intérêt des Américains mais aussi d'une politique commune ». Le coordinateur du gouvernement allemand pour les relations transatlantiques, Harald Leibrecht, a affirmé à Die Welt samedi, que « l'amitié germano-américaine n'est plus automatique ». Dans l'opposition, les Verts et la gauche radicale Die Linke sont également montés au créneau pour demander une session extraordinaire du Parlement, tout en reprochant la tiédeur de Merkel face au scandale du NSA. Pis encore : le PSD exige une pause dans les négociations sur l'accord de libre-échange entre l'UE et les Etats-Unis. L'offensive allemande est ainsi lancée pour tenter de rectifier le tir et d'obtenir les explications nécessaires de son allié transatlantique. Une délégation de haut rang, comprenant des membres des services secrets, doit se rendre dans la semaine à Washington pour faire le point sur les « allégations récemment évoquées », selon le porte-parole adjoint de la chancelière, Georg Streiter. Le patron de la BND, Gerhard Schindler, tout comme le chef de la chancellerie et, donc, chargé du renseignement, Ronald Pofalla, seront du voyage. Sur la table : le principe de la protection des libertés individuelles. C'est aux Etats-Unis que la riposte a été lancée pour se prémunir contre la mainmise totale d'une agence devenue incontrôlable. Plusieurs milliers de personnes ont ainsi manifesté, samedi, à Washington, pour revendiquer une nouvelle loi réformant les programmes de la NSA jugés attentatoires à la vie privée. « Stoppez l'espionnage de masse », ont clamé les 4.500 personnes (selon les organisateurs) manifestant sous les fenêtres du Capitole, siège du Congrès des Etats-Unis. Les nouveaux indignés ont remis au Congrès une pétition signée sur Internet par plus de 575.000 personnes et exigeant que les parlementaires « révèlent toute l'étendue des programmes de surveillance de la NSA ». En Europe, la déferlante protestataire a soulevé l'indignation de l'Espagne convoquant l'ambassadeur américain à Madrid, et de la France victime d'une attaque informatique ayant visé la présidence française, en mai 2012. Mais, une Europe prêchant par une « unité de façade » et refusant toutes formes de rétorsion. L'on estime, à cet effet, que le blocage du projet de la Commission européenne, destiné à renforcer la protection des données privées face aux géants de l'Internet et aux services de renseignements, est symptomatique du malaise des « 28 ». Il semble aussi que le rapprochement franco-allemand, scellé par la démarche commune vouée à trouver, d'ici un an, un accord avec les Etats-Unis sur les questions de renseignements, reste problématique. Selon le quotidien bavarois, Süddeutsche Zeitung, le « rôle ambigu » de la France, signant un accord de collaboration entre les services de sécurité et ceux des Etats-Unis, du Canada, de l'Australie et de la Nouvelle Zélande, a suscité des interrogations sur les limites de la coopération européenne. Face à une Europe impuissante, l'ONU, comme unique alternative à une dérive monstrueuse ? A l'initiative de l'Allemagne et du Brésil, une résolution sur la protection des libertés individuelles sera soumise, vendredi prochain, à la Commission des droits de l'Homme de l'Assemblée générale des Nations unies. Pour quelle finalité ?