L'Allemagne s'engage dans une offensive diplomatique à la suite des révélations sur la surveillance présumée du portable d'Angela Merkel par les Etats-Unis, découvrant avec déception le nouveau visage de son "ami américain". Une délégation allemande de haut rang, qui selon la presse allemande citant samedi des sources proches des services de renseignement, va comprendre des membres des services secrets, doit se rendre la semaine prochaine aux Etats-Unis pour obtenir des explications. "Des représentants de haut rang du gouvernement vont se rendre rapidement aux Etats-Unis afin d'avancer dans les discussions avec la Maison blanche et la NSA sur les allégations récemment évoquées", a déclaré vendredi le porte-parole adjoint de la chancelière, Georg Streiter. Selon le quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ), le chef des services secrets allemands (BND), Gerhard Schindler, sera du voyage, tout comme, selon d'autres médias, Ronald Pofalla, chef de la chancellerie et donc chargé du renseignement. Parallèlement, l'Allemagne prépare conjointement avec le Brésil, une résolution à l'ONU sur la protection des libertés individuelles, selon des diplomates onusiens. Une ébauche de résolution devrait être soumise vendredi prochain à la Commission des droits de l'Homme de l'assemblée générale des Nations unies. "L'espionnage entre amis, cela ne va pas du tout", avait affirmé Mme Merkel lors du sommet des dirigeants de l'UE en fin de semaine à Bruxelles. L'affaire a été évoquée au cours d'un entretien bilatéral avec le président français François Hollande, les deux dirigeants affirmant "l'un comme l'autre le caractère inacceptable" des écoutes américaines, souhaitant que "l'on trouve les moyens d'en sortir". Les révélations sur l'ampleur des programmes de surveillance de la NSA --visant aussi bien des citoyens américains que des chefs d'Etat étrangers-- suscitent des inquiétudes aux Etats-Unis sur la supervision d'une agence que certains croient devenue incontrôlable. "Unité au plus haut niveau", titrait le quotidien Süddeutsche Zeitung (SZ), à propos de cette affaire, soulignant que le scandale avait permis de rapprocher de nouveau l'Allemagne et la France qui ont lancé une initiative commune, soutenue par les autres Européens, pour trouver avec les Etats-Unis un accord d'ici la fin de l'année sur les questions de renseignement. Angela Merkel "souhaite que cette nouvelle unité franco-allemande dure" et elle avait "besoin de quelque chose d'écrit", souligne le SZ, rappelant que la chancelière avait obligation de rapporter un résultat concret du sommet afin de montrer qu'elle et plus largement l'Europe font "quelque chose contre l'orgie de surveillance américaine". Dans un autre article, le quotidien bavarois évoque le rôle ambigu de la France dans le cadre des activités de surveillance, affirmant que sous le nom de code "Lustre", les services de renseignement français ont signé un accord de collaboration avec ceux des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne, du Canada, de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande. La colère née des révélations sur un possible espionnage du portable de la chancelière n'est pas retombée en Allemagne qui s'interroge sur la confiance qu'elle a jusqu'ici accordée à Barack Obama. "Obama, sans scrupule ou dépassé (par les évènements)?", questionne le quotidien populaire Bild tandis que le quotidien conservateur Die Welt et le FAZ parlent d'un Obama "démythifié". Ce dernier journal affirme que le président américain a assuré mercredi à la chancelière ne pas être au courant d'une éventuelle mise sur écoute de son téléphone. "Dans un partenariat, il faut être deux", fait remarquer le FAZ, ajoutant: "Le froid Obama (...) ne doit pas refuser d'expliquer ce qui s'est passé et doit montrer des signes d'un changement de cap, c'est dans l'intérêt des Américains mais aussi d'une politique commune" avec eux. L'opposition, et notamment les Verts et le parti de la gauche radicale Die Linke, ont demandé la tenue d'une réunion extraordinaire du Bundestag, la chambre basse du Parlement allemand, et reprochent à Mme Merkel d'avoir minimisé le scandale NSA. Désormais, le ton gouvernemental se veut offensif: "L'amitié germano-américaine n'est plus automatique", a affirmé le coordinateur du gouvernement allemand pour les relations transatlantiques, Harald Leibrecht, à Die Welt samedi, ajoutant: "notre confiance est ébranlée". Mais si l'Allemagne multiplie les initiatives pour marquer son mécontentement, la marge de manœuvre de la chancelière reste limitée. Elle n'a pas emboîté le pas aux membres du parti social-démocrate (SPD) qui ont évoqué une pause dans les négociations sur l'accord de libre-échange entre l'UE et les Etats-Unis à la suite du scandale, craignant les conséquences d'un échec de ces discussions pour les intérêts économiques de l'Europe et de son pays.