Il est des dates, en plus d'être indélébiles, qui marquent par leur signification profonde. Le 19 mai 1956 est la date à laquelle les étudiants et lycéens algériens ont décidé d'apporter leur contribution à l'essor de la révolution, deux ans après son lancement. C'est que la population étudiante ne pouvait être insensible aux injustices de l'ordre colonial et de la portée du combat pour l'indépendance. Dans l'ordre naturel des choses, l'appel pour une grève illimitée a été lancé et suivi dans une discipline sans faille, dans un contexte de lutte armée déterminée. A l'appel de l'Union générale des étudiants musulmans algériens (Ugéma), les potaches ont déserté les cours et les amphis pour rallier le cours de l'insurrection pour la libération du pays de la dépendance coloniale. La jeunesse des acteurs a conféré une dimension symbolique à l'élan général. Et conforter les militants du mouvement national dans leur décision de passer à l'action armée après des années de désillusion égalitaire. Le FLN, en tant que mouvement fédérateur autour du mot d'ordre de l'indépendance, s'est alors enorgueilli de l'engagement des étudiants, consolidant sa posture de représentant incontesté de la cause nationale. Cela ne pouvait pas être autrement au regard du contexte. Dans le florilège d'humiliations infligées aux Algériens, intrinsèquement au système colonial, le système éducatif se résumait à 1.500 écoles primaires et 6 lycées, édifiés principalement pour accueillir des enfants européens. Seulement 500 diplômes ont été décernés en 132 ans de colonialisme. L'ostracisme scolaire qui frappait « les indigènes », relégués dans « un code d'indigénat » attentatoire à la dignité humaine, n'a donc pas empêché qu'éclose la conscience nationaliste à l'échelle large des différentes catégories de la population. « ...avec un diplôme en plus, nous ne ferons pas de meilleurs cadavres ! A quoi donc serviraient ces diplômes, qu'on continue à nous offrir, pendant que notre peuple lutte héroïquement, pendant que nos mères, nos épouses, nos sœurs sont violées, pendant que nos enfants, nos vieillards tombent sous la mitraillette, les bombes, le napalm (...) Etudiants et intellectuels algériens, pour le monde qui nous observe, pour la nation qui nous appelle, pour le destin historique de notre pays, serions-nous des renégats ? ». Tel était le passage poignant de la déclaration de l'Ugéma, passé à la postérité. Cette organisation, créée dans le feu de l'action en juillet 1955, est précisément une des haltes dans l'organisation de la population autour des objectifs de la révolution. Ses adhérents ont été très vite la proie de l'appareil répressif. L'histoire évoque des arrestations, des enlèvements, des pratiques de sévices, des assassinats.. C'est aussi en 1956 que les travailleurs se sont organisés sous la bannière d'une instance syndicale, l'UGTA, dont le leader, Aïssat Idir, paiera de sa vie cette audace, sous les sévices de la torture. C'est donc un mouvement de fond qu'a entrepris le FLN pour enrôler le maximum d'Algériens et signifier à l'adversaire et au monde qu'il est représentatif de toutes les franges de la population algérienne. Sinon l'engagement étudiant en faveur du mot d'ordre de lutte pour l'indépendance n'est pas numériquement significatif (quelque 400 sur 4.500 Européens de l'université d'Alger, la seule implantée en Algérie). Mais tout est dans la symbolique de la mobilisation. Pour le reste, l'implication des étudiants à titre individuel n'est pas dissociable du reste de la population. A l'instar de Belaïd Abdeslam et Mohamed Harbi, déjà structurés dans les instances dirigeantes du PPA-MTLD. Puis dans le feu de la lutte armée, la Révolution avait besoin du savoir-faire pratique des certains éléments. L'Ugéma étant conçue en tant que cadre de mobilisation et d'engagement pour l'émancipation dans le cadre nord-africain.La réponse à l'appel du 19 mai 1956 s'est donc aussi manifestée sous la forme de l'engagement dans les maquis. L'apport escompté par le FLN était d'encadrer politiquement les troupes, et le cas échéant, suppléer, pour ceux qui en ont la qualification, à d'autres besoins pratiques. Les soins pour certains, la logistique pour d'autres. Taleb Abderrahmane, grâce à ses connaissances en chimie, s'est prêté à la confection d'explosifs dans les cellules du FLN lors de la bataille d'Alger. Les connaissances de chimiste de Taleb serviront à la confection des bombes qui secoueront la capitale. D'autres auront aussi abandonné un parcours professionnel, à l'image de Lamine Khene, qui, de la faculté de médecine, passera au conseil de la Wilaya II avant d'être membre du CNRA. Le docteur Laliam rompt avec ses études d'ophtalmologie pour diriger les services sanitaires de la Wilaya III. Les exemples sont légion. Ils indiquent tous que l'implication des étudiants dans la Révolution était une affaire aussi bien individuelle que collective. Mais dans la symbolique des messages pédagogiques, l'Ugéma annoncera, le 14 octobre 1957, lors d'une conférence de presse à Paris, que l'attention de l'organisation, dans une vision prospective, ne négligeait pas les lendemains d'indépendance. C'est pourquoi, il ne fallait pas prendre le risque de faire perdre la qualité d'étudiant à ceux qui devraient, plus tard, prendre en charge la construction du pays. Il a été alors établi que le mot d'ordre de grève a atteint ses objectifs pour ce qu'il a contribué à sensibiliser l'opinion internationale sur la finalité du combat du peuple algérien. La conférence se terminait par cette déclaration révélatrice de l'état d'esprit ambiant : « Confiant dans l'issue finale du combat libérateur et conscient des lourdes charges qu'il aura à assumer pour édifier un Etat nouveau et en assurer un fonctionnement harmonieux, l'étudiant doit se préparer à faire face à ses nouvelles responsabilités. Investi de cette nouvelle mission par son peuple, il apporte la preuve de sa foi en l'avenir en préparant, en pleine guerre, les lendemains de la victoire, en donnant à l'Algérie indépendante les cadres solides, éprouvés et dignes de l'esprit révolutionnaire de son peuple. » A chaque phase de l'histoire, un sens du patriotisme. Le message du 19 mai, c'est aussi cela.