A Saint-Pétersbourg, la deuxième ville du pays, 6.000 personnes se sont rassemblées pour honorer la mémoire de l'opposant, certains drapés dans des drapeaux ukrainiens. Des centaines de personnes ont également manifesté dans plusieurs villes de province, notamment Ekaterinbourg dans l'Oural et Tomsk en Sibérie. Sous le credo évocateur « Je suis Nemtsov », la manifestation a plombé un climat délétère lourd de suspicions en tous genres entourant un assassinat commis, samedi dernier avant minuit, près du Kremlin. Alors que l'Occident, l'opposition et certains des alliés locaux inquiets de la contagion de la crise ukrainienne crient à l'unisson à « l'assassinat politique », Moscou ne fait pas mystère des velléités déstabilisatrices d'un « meurtre commandité » aux allures provocatrices, stigmatisé par le porte-parole de la présidence russe, Dmitri Peskov. La cause est donc entendue. « Manifestement, il faut que le sang coule pour que des troubles éclatent dans le centre de Moscou », a renchéri le chef du Parti communiste, Guennadi Ziouganov. Un autre responsable du parti, Ivan Melnikov, a estimé qu'il s'agissait d'une « provocation destinée à relancer l'hystérie antirusse à l'étranger ». Cette appréciation est confortée par la position de l'écrivain et ancien diplomate russe d'origine ukrainienne, Vladimir Fédorovski, mettant en garde, dans les colonnes du Figaro, contre « les raccourcis et les fantasmes » de nature à creuser davantage le fossé entre Poutine et l'Europe et à renforcer le spectre de la « guerre totale ». Tout en regrettant l'absence d'« éléments réels », il a tenu à rappeler que « l'antithèse » de Poutine n'a jamais représenté un quelconque danger pour le Kremlin et que, par ailleurs, jamais le renforcement du sentiment nationaliste n'a autant profité à la popularité de Poutine que pendant le conflit ukrainien. Dès lors, la thèse du complot prend de l'épaisseur. Elle est privilégiée par le Comité d'enquête de Moscou s'appuyant sur les premiers éléments disponibles de l'assassinat « minutieusement planifié ». Dans un message de condoléances adressé à la mère de Boris Nemtsov, le président Vladimir Poutine s'est engagé à tout faire pour châtier les assassins de Nemtsov. « Tout sera fait pour que les organisateurs et les exécutants de ce crime lâche et cynique reçoivent le châtiment qu'ils méritent », a-t-il affirmé. Toutes les hypothèses, allant du crime politique à la main terroriste, en passant par le bourbier ukrainien, sont retenues pour tenter de lever les zones d'ombre d'un crime à plusieurs inconnues. Les autorités russes évoquent la thèse de la « -victime sacrificielle », destinée à diaboliser le pouvoir russe, et des « inimitiés personnelles » en relation avec la vie privée du défunt soulevées par le comité d'enquête et les chaînes de télévision russes particulièrement intéressées par la présence du top model ukrainien marchant à ses côtés au moment du crime. La main terroriste n'est pas exclue. Elle se légitime par les menaces lancées contre Boris Nemtsov totalement acquis à la solidarité avec l'hebdomadaire Charlie Hebdo. La télévision russe Life News a, à cet effet, publié une photo d'une voiture immatriculée en république musulmane d'Ingouchie, dans le Caucase du Nord, où d'importantes manifestations ont eu lieu en janvier pour protester contre la campagne blasphématoire des publications occidentales. Dans cette panoplie de pistes, la crise ukrainienne revient avec force. Pour le politologue Sergei Markov, cet assassinat profite aussi à Kiev travaillant à la déstabilisation du Kremlin dans le collimateur de « l'ami » de Petro Porochenko, appelant quelques jours avant de tomber sous les balles criminelles, à une marche dans la capitale pour dénoncer « l'agression de Vladimir Poutine » contre l'Ukraine. Une marche désormais dédiée à la mobilisation populaire que même la manifestation de grande ampleur contre l'ingérence russe en Ukraine, organisée en septembre dernier, n'a pu atteindre. Larbi Chaabouni