La terrible épreuve de feu de la baie des Cochons, qui a coûté à La Havane un demi-siècle d'embargo, change de camp. Elle prend désormais les allures d'un containment à rebours imposé à la Russie sous embargo et confrontée au défi du déploiement des missiles dans les anciens pays du bloc de l'Est et de la relance de la course à l'armement nucléaire par l'Otan frondeuse installée aux frontières orientales. L'arme de l'embargo des plus forts a durement sanctionné l'Iran, sévi durant la première et la deuxième guerre du Golfe contre le régime de Saddam et constitué le fer de lance du fameux « printemps arabe » des dérives chaotiques. Aujourd'hui, le centre d'intérêt stratégique a glissé plus vers l'Ouest. Le basculement commande une normalisation cubaine qui rejoint l'Iran festif de retour, après 35 ans d'isolement, sur la scène internationale. Il véhicule le nouveau visage de l'Amérique d'Obama, en rupture avec la politique outrancièrement guerrière et aventurière de son prédécesseur. Le cap est mis sur un affermissement du dialogue conçu comme le meilleur moyen de défendre les intérêts stratégiques des Etats-Unis et matérialisé par l'accord, conclu la semaine dernière avec l'Iran et le rétablissement des relations diplomatiques avec Cuba. La parenthèse de l'un des vestiges de la guerre froide de l'ère bipolaire se ferme sur une « nouvelle page » de l'histoire marquée par la poignée de main des deux présidents présents aux obsèques du défunt Mandela, en décembre 2013, et l'annonce solennelle de la reprise des relations diplomatiques au bout de 18 mois de tractations menées sous l'égide du Vatican. Hier, le processus de normalisation a été entériné par l'ouverture des ambassades qui prennent le relais des « sections d'intérêts » représentées à La Havane par la Suisse et à Washington par la République tchèque. De la même manière, les 360 employés, en majorité cubains, de la section d'intérêts seront accrédités dans l'ambassade américaine, alors que le chef de la mission retrouve le rang de chargé d'affaires. Les retrouvailles ont officiellement pris la forme d'une cérémonie organisée symboliquement dans la mission cubaine, en présence du ministre des Affaires étrangères, Bruno Rodriguez, du chef de la section d'intérêts à La Havane, Jeffrey De Laurentis, et de la secrétaire d'Etat américaine adjointe chargée de l'Amérique latine, Roberta Jacobson. Outre la présence du chanteur emblématique cubain, Silvio Rodriguez, près de 500 invités y ont également assisté. Il faudra toutefois attendre le déplacement en été du secrétaire d'Etat, John Kerry, déterminé à « présider un événement aussi important » pour hisser le drapeau américain à La Havane. Mais il reste beaucoup de chemin à faire pour une normalisation pleinement accomplie et suspendue aux nombreux différends liés à la levée de l'embargo américain, la restitution de la base navale américaine de Guantanamo, les milliards de dollars d'indemnisation réclamés par les Américains expropriés de Cuba à la révolution, l'extradition des fugitifs réfugiés à Cuba et recherchés par la justice américaine... « Les décennies d'hostilité ne vont pas disparaître du jour au lendemain », déclarait, en janvier dernier, la représentante du département américain Roberta Jacobson. Le nouveau cap est aussi tributaire du vote du Congrès majoritairement hostile et du Sénat qui peut légalement bloquer la nomination d'un ambassadeur américain à Cuba. Fin d'une époque ?