Photo : Slimene S.A. Du haut de son perchoir, Beni-Izguen jette un regard fier et hautain sur la vallée du M'zab. Dans ses prunelles ocres, brille une lueur tantôt nostalgique tantôt pétillante, selon son humeur changeante. Nostalgique quand elle se pare de son costume d'antan et pétillante quand elle se vêt de son habit conçu à l'ancienne mais aux couleurs plus éclatantes. Derrière ses multiples portails en bois, elle réserve mille surprises aux visiteurs tout en gardant jalousement ses secrets les plus intimes. Quand elle écarte les panneaux de sa vielle porte en bois de palmier, tout un monde s'ouvre. Tout de suite, on aperçoit les femmes couvertes de Hayek blancs et les hommes vêtus de gilets multicolores. Les enfants, tous mignons dans leurs petits habits traditionnels, fondent dans le décor que leurs aînés nourrissent de coutumes et us et que beaucoup jugent sévères. La plupart d'entre-eux portent des lunettes de vue. Certains diront que c'est un signe de culture, que les mozabites s'abîment les yeux à force de lecture et de quête de savoir. Mais les plus réalistes diront tout simplement que le port de ces lunettes est une simple conséquence des mariages consanguins que les mozabites de Beni-Izguen affectionnent particulièrement. LES ETRANGERS INDESIRABLES DANS L'ANCIENNE VILLE A la vue d'étrangers, les habitants de Beni-Izguen s'immobilisent aussitôt, et restent aux aguets. Poliment mais fermement, ils suggèrent aux visiteurs d'attendre le guide. Car ici, dans l'ancienne cité, les étrangers ne sont pas les bienvenus. Sauf les touristes accompagnés par un guide ou par l'un des habitants de la cité. Le guide une fois là, et après avoir empoché 400 DA pour la visite guidée, conduit les visiteurs vers le petit musée implanté juste à l'entrée de la ville. Mais avant, il se fait un devoir de rappeler trois instructions auxquelles les touristes doivent se plier : Ne pas prendre les femmes en photos, ne pas fumer et ne pas porter des tenues indécentes. Alors commence la visite guidée. Au musée, les visiteurs découvrent une partie des traditions des mozabites tandis que l'autre partie, celle qui se transmet de génération en génération à l'abri des regards, est gardée sous silence. Celle-là ne se dévoile qu'à l'ombre des palmiers. La visite terminée, les touristes sont conduits vers les ruelles étroites où sont alignées, côte à côte, les maisons ancestrales aux fenêtres étroites et closes. Les quartiers sont admirablement dessinés et entretenus, d'une propreté impeccable qui rendrait jaloux les habitants de la Casbah d'Alger. Au niveau de chaque ruelle, un puit y est implanté sous un palmier. Ici, chaque goutte d'eau est précieuse. Le gaspillage est un terme qui n'existe pas dans le vocabulaire mozabite. «Quand on remonte le seau rempli d'eau du puit, il y a toujours des gouttes qui s'y échappent et se déversent sur le sol. Mais grâce aux palmiers implantés à proximité de ces puits, elles sont vite récupérées puisqu'elles servent à l'irrigation de ces arbres», explique le guide. Les ruelles aboutissent toutes au grand phare où l'on peut admirer toute la ville de Ghardaïa et les cités environnantes. Une vue fabuleuse s'offre à nous sur le patrimoine architectural de cette région. On peut apercevoir le lit vide du oued de M'zab ainsi que la nouvelle ville de Beni-Izguen. Une réplique vivante de l'ancienne ! POUR LE BIEN DE LA PALMERAIE Un portail en bois, flambant neuf, met la ville à l'abri des regards. Entourée également par une clôture qui ne laisse entrevoir aucune issue. A l'intérieur, les ruelles sont toutes aussi étroites que celles de l'ancienne cité, protégeant les habitants du soleil en leur offrant de la pénombre. Les maisons portent encore les traces d'une peinture récente mais leur allure donne une idée de ce qu'étaient les anciennes maisons construites il y a des siècles, avant qu'elles ne soient ternies par le temps. Car les maisons nouvellement construites sont la copie crachée des anciennes. Pour ne pas faire de jaloux, toutes les maisons se ressemblent et sont conçues à base de matériaux locaux, dont la pierre rouge. Chaque maison se compose d'un rez-de-chaussée, d'un premier étage et d'une terrasse. C'est l'œuvre de jeunes entrepreneurs formés à Beni-Izguen dans des ateliers, par des experts. Prennent exemple sur l'ancien modèle, la nouvelle cité est d'une propreté irréprochable. Pour arriver à ce résultat, il fallait diviser la cité en plusieurs îlots. Chaque îlot est mis sous la responsabilité d'une personne qui se charge du nettoyage avec l'implication de jeunes enfants. Les puits d'eau, en revanche, ne font pas partie du décor. Les mozabites préfèrent et de loin, le système de distribution d'eau moderne. «Ces constructions organisées permettent le retour de l'architecture mozabite d'un côté, et épargnent, d'un autre côté, la palmeraie qui a souffert ces derniers temps d'une extension anarchique», explique Brahim Fekhar, vice-président de l'association de l'orientation touristique de Ghardaïa. La palmeraie, en effet, qui s'étend sur plusieurs Kilomètres, s'est considérablement appauvrie pour céder la place aux nouvelles constructions. Ce projet architectural qui a inspiré un bon nombre de pays étrangers et même étudié dans les universités, au Canada notamment, a permis aussi le regroupement des mozabites de Beni-Izguen qui se sont dispersés un peu partout avec l'extension de la ville. «Les 17 000 habitants de Beni-Izguen ne pouvant pas habiter tous dans l'ancienne cité, les promoteurs mozabites ont pensé à concevoir une autre cité qui leur offre le même style de vie et le même environnement. Il s'agit, au fait, de réapprendre, à vivre ensemble, en communauté. L'objectif est de préserver le cachet socio-culturel de la vie des mozabites», ajoute M, Fekhar qui précisera que ce projet est le résultat d'une initiative privée. UN TOIT POUR TOUS Quelques 1018 logements ont été construits grâce à ce projet. Des logements que chaque membre de la communauté contribue à bâtir, sous la responsabilité de l'association Temekres qui chapeaute le programme. C'est ainsi que chaque jeune couple se marie, il peut accéder a un logement. Les célibataires, par contre, n'en ont pas droit. Sauf les divorcées ou les veuves qui perçoivent des aides d'une caisse zakat mise en place et alimentée spécialement pour elle. «Les nouveaux couples doivent verser à l'association une première tranche d'une valeur de 150 000 DA et le reste est payé au fur et à mesure, selon les moyens de chaque couple. Chacun cotise comme il peut. Il peut mettre 1000 DA comme il peut mettre 500 DA. C'est une façon comme une autre d'encourager les jeunes à économiser. Les maisons donc sont construites au fur et à mesure. Une fois les habitations achevées, nous procédons à un tirage au sort en toute transparence. Celui qui gagne au tirage au sort a son logement aussitôt, même s'il n'a pas fin d'honorer tous ses payements», fait savoir l'un des membres de cette association qui espère qu'en matière de logement, Beni-Izguen sera suivie comme exemple par les autres cités mozabites. «Pour les autres wilayas du pays, cette conception sera peut-être un peu difficile à appliquer. Car gérer une communauté est une chose, gérer toute une wilaya est toute autre chose», estime-t-il. Mais ce qui est sûr, c'est que ce modèle d'architecture est une aubaine pour Ghardaïa, du point de vue touristique notamment. Car les deux villes de Beni-Izguen, de véritables sœur jumelles, sont toutes les deux un plaisir pour l'œil.