Métamorphose n La voix des sables dit au fleuve qu'il doit changer de nature car la vie n'est qu'une suite de changements... La voix des sables II était une fois un vieux fleuve perdu dans les sables du désert. Il était descendu d'une haute montagne qui se confondait maintenant avec le bleu du ciel. Il se souvenait avoir traversé des forêts, des plaines, des villes... vivace, bondissant, puis large, fier et noble. Quel mauvais sort l'avait conduit à s'enliser parmi ces dunes basses où n'était plus aucun chemin ? Où aller désormais, et comment franchir ces espaces brûlés qui semblaient infinis ? Il l'ignorait et se désespérait. Or, comme il perdait courage à s'efforcer en vain, il vint des sables une voix qui lui dit : — Le vent traverse le désert. Le fleuve peut en faire autant. Il répondit qu'il ne savait voler, comme faisait le vent. — Fais donc confiance aux brises, aux grands souffles qui vont, dit encore la voix. Laisse-toi absorber et emporter au loin. Alors la voix lui dit (ce n'était qu'un murmure) : — La vie est faite de métamorphoses. Le vent t'emportera au-delà du désert, il te laissera retomber en pluie et tu redeviendras rivière. Il eut peur tout à coup. Il cria : - Mais moi je veux rester le fleuve que je suis ! - Tu ne peux, dit la voix des sables. Et si tu parles ainsi, c'est que tu ignores ta véritable nature. Le fleuve que tu es n'est qu'un corps passager. Sache que ton être impérissable fut déjà maintes fois emporté par le vent, vécut dans les nuages et retrouva la Terre pour à nouveau courir, ruisseler, gambader. Le fleuve resta silencieux. Et comme il se taisait un souvenir lui vint, semblable à un parfum à peine perceptible. «Ce n'est peut-être rien qu'un rêve», pensa-t-il. Son cœur lui dit : «Et si ce rêve était ton seul chemin de vie, désormais ?» Le fleuve se fit brume à la tombée du jour. Craintif, il accueillit le vent, lequel l'emporta. Et soudain, familier du ciel où planaient des oiseaux, il se laissa mener jusqu'au sommet d'un mont. Loin au-dessous de lui les sables murmuraient : - Il va pleuvoir là-bas où pousse l'herbe tendre. Un nouveau ruisseau va naître. Nous savons cela. Nous savons tout des mille visages de la vie, nous qui sommes partout semblables. La voix parle sans cesse. Comme la mémoire du monde, le conte des sables est infini. La prière juste Au temps où saint Nicolas parcourait le monde en jeune aventureux affamé de découvertes, son chemin le conduisit un jour au bord d'un vaste fleuve aux vagues éblouies par le soleil de midi. Là, était un passeur qui sonnait de la trompe à la proue de sa barque. Tandis que Nicolas, parmi les voyageurs, se hâtait vers le ponton de planches, il aperçut à l'écart de l'embarcadère un pauvre diable en guenilles agenouillé devant une hutte de branches. Le visage de cet homme et ses mains offertes à la brise émurent son cœur simple. Il le désigna aux gens qui l'entouraient, demanda si quelqu'un le connaissait. On lui répondit : — C'est un sage infini, ses prières font des miracles. Va donc le saluer. Chance pour toi s'il te bénit ! — Vraiment ? dit Nicolas. A suivre Henri Gougaud