Nous entendions un soldat appeler : «Mon commandant ! mon commandant !», afin de signaler quelque chose, ou le commandant aboyant ses ordres à la troupe : «Avancez, avancez !» On aurait dit qu'ils étaient tous drogués. Nous entendions leurs cris de douleur, mais ils avançaient toujours sur nous, qui nous trouvions dans le groupe avancé de Si Arezki, comme s'ils s'apprêtaient à faire l'assaut sur nous. Heureusement que nous étions au-dessus d'eux, tout à fait hors de leur portée sur les hauteurs, séparés d'eux par un écran protecteur de quelque quarante ou cinquante mètres de profondeur que formaient quelques arbres. Quand nous parvint enfin le signal de Si Moussa, Si Arezki, Si Braham Brakni, Si Tayeb, Si Bayou, les six autres compagnons et moi-même, armés de 5 mitraillettes MAT 49, de 6 fusils Garant, un genou appuyé à terre, tenions toujours tête à cette horde hurlante de soldats qui avançaient irrésistiblement vers nous en mitraillant sans discontinuer. Si Arezki, notre chef de groupe, nous avait ordonné de leur balancer quelques grenades pour tenter de stopper ou ralentir leur progression. Mais rien n'y fit. Les grenades explosaient au milieu de ces zombies, en tuant certains et en blessant d'autres, certes, semant trouble et agitation dans les rangs, mais ne parvenaient pas à stopper l'avancée de ces forcenés... Je me rappelle que je m'étais dit : «Voilà arrivée notre heure, nous allons mourir !» Le commandant du 29e BTA continuait de hurler ses ordres aux soldats : «Avancez, avancez !» Je me suis alors levé et j'ai crié à deux reprises : «Ya Si Maâmar, ya Si Maâmar !» sans toutefois arrêter de tirer avec ma mitraillette. Comme Si Tayeb Benmira (Si «l'Istiklal»!), je voulais mourir en martyr. Mes compagnons et moi, criions : Allâhou Akbar, pour tenter d'impressionner l'ennemi, qui avançait malgré les pertes humaines dans ses rangs. Si Maâmar ayant entendu mes appels, avait tout de suite braqué sa mitrailleuse et s'était mis à tirer juste devant nous, pour arrêter leur avancée vers nous. Tout de suite après le signal, quelques prestes enjambées nous suffirent pour nous retrouver au sommet de la crête avec les deux autres groupes du commando, tout heureux d'avoir livré ce grand combat. Nous étions tous présents, ayant pu ainsi quitter le champ de bataille fiers et la tête haute. Parfaitement victorieux, par la grâce de Dieu, en qui nous avions eu totalement foi et confiance, regrettant seule-ment de devoir laisser derrière nous nos deux chouhada : Si Slimane et Si Mahfoud, morts en héros pour que vive la patrie algérienne. Quand l'ennemi parvint enfin à atteindre la crête, nous nous trouvions hors de portée de ses tirs et la nuit était déjà tombée. Les soldats s'étaient mis à lancer des fusées éclairantes pour essayer de nous repérer. Mais nous avions déjà quelque 700 ou 800 mètres d'avance. Nous avancions en file indienne, poussant devant nous notre prisonnier, lequel s'avérera être un des pieds noirs d'Oran, qui était l'interprète d'arabe du 29e BTA. (à suivre...)