Pouvoir n Le constat n'est pas nouveau et il faut faire avec sans se voiler la face. Les Africains, du moins les hommes politiques du continent, cultivent une étrange relation avec le pouvoir. Une relation complexe, ambiguë, presque fusionnelle. A la limite charnelle. Il est vrai qu'au lendemain de la décolonisation, il y a plus de 50 ans, le pouvoir dans les pays nouvellement libérés a été assumé tout naturellement par des chefs charismatiques portés à la magistrature suprême par des peuples tétanisés et ivres de liberté. En Zambie, par exemple, à la seule apparition de Kenneth Kaunda, des femmes entraient littéralement en transe. C'était chose naturelle dans la mesure où le combat du personnage se confondait souvent avec le combat libérateur de la nation, dont il était l'incarnation. Le président Julius Nyerere de Tanzanie, dont l'itinéraire était presque identique, était adulé avec la même ferveur et le même amour populaire des petits et des sans grade. Le Dr N'Krumah au Ghana symbolisait pour ses concitoyens, la protection et la garantie de l'indépendance nationale contre les maux et les désordres de l'Occident. D'ailleurs, sa verve et son discours marxiste ont grandement contribué à faire de son image une véritable icône. Hissé au sommet du pouvoir par un peuple asservi par des décennies de suprématie blanche, Patrice Lumumba, le remuant Premier ministre du Congo belge, sera enlevé par les hommes de Moïse Tshombe et assassiné en pleine forêt. Son élection haut la main ne lui aura pas servi à grand-chose. Sekou Toure qui osera dire non, un non retentissant en 1958, à l'intégration de la Guinée à la Communauté franco-africaine, dirigera son pays pendant des années d'un bras de fer, à la Fidel Castro. Ses réélections successives à la présidence de la République ne seront qu'une vaste parodie, qui ne trompera personne et encore moins son peuple. Il sera chassé du pouvoir comme un malpropre par une population qu'il a dépouillée de tout. D'autres chefs d'Etat passeront à la trappe parfois au prix de leur vie après s'être incrustés pendant longtemps au pouvoir qu'ils ont souvent confisqué par le trafic des urnes. Moussa Traoré au Mali et Hamani Diori au Niger en ont fait la cruelle expérience. En tout état de cause, l'Afrique se portera bien mieux le jour où ses institutions survivront aux hommes. Et cela ne sera possible que si les peuples disposent librement de leur choix et du droit à l'alternance des dirigeants politiques. Le cas ivoirien n'est qu'une caricature poussée à l'extrême de l'ambition démesurée de certains hommes que rien n'arrête dans leur course au pouvoir, ni la volonté du peuple, ni son choix démocratique, ni même le sentiment de l'abuser et de lui spolier sa victoire.