Rituel n C'est demain, le 12 janvier, que l'Algérie célébrera le Nouvel An berbère, à savoir Yennayer. A cette occasion, de nombreuses festivités sont prévues à travers le pays et notamment à Ghardaïa où le Haut-Commissariat à l'amazighité a concocté un programme varié. Nous célébrerons l'anné 2961 du calendrier amazigh. L'une des particularités de ce Nouvel An, voire le moment fort et marquant dans certaines régions de l'Ouest algérien, est l'Ayrad : le carnaval de Beni-Snous (Tlemcen) . L'Ayrad est en soi un pur et authentique théâtre traditionnel et ce, de par toutes les composantes ou les formes artistiques qu'il rassemble et par lesquelles il se distingue. «Le carnaval de l'Ayrad que vit chaque année Beni-Snous, cette région montagneuse amazighe de la wilaya de Tlemcen, est considéré comme un phénomène social dont les éléments artistiques font un théâtre traditionnel», a expliqué Ali Abdoun, président de l'association El-Afsa de Tlemcen, et aussi animateur d'ateliers et de stages d'initiation à l'art des planches. Ali Abdoun, metteur en scène, ayant consacré de longues années à des travaux sur Yennayer, met l'accent sur les traditions théâtralisées de cette fête qui revêt un caractère socioculturel. «L'Ayrad, lion en tamazight, est une forme de spectacle vivant pratiqué par des jeunes qui incarnent plusieurs personnages», explique-t-il, et de relever : «Il y a une intensité dramatique dans la fête de l'Ayrad que traduisent les costumes utilisés, les masques, les chants entonnés, les danses exécutées et la mise en scène du jeu des personnes déguisées», soulignant qu'il s'agit-là d'un acte identitaire qu'il faut sauvegarder et pérenniser. Ali Abdoun, pour qui Ayrad même si c'est une fête agraire à but essentiellement solidaire, reste néanmoins une pratique culturelle ; c'est un patrimoine d'une grande richesse aussi bien culturelle que sociale, d'où la nécessité de le sauvegarder et de le pérenniser. «C'est une source multidimensionnelle pouvant, sans aucun doute, inspirer les hommes de théâtre pour monter des pièces théâtrales contemporaines», dit-il. Et d'indiquer : «Il peut beaucoup apporter au théâtre d'aujourd'hui.» Il ajoute que le carnaval comporte des aspects anthropologiques et que son étude de ce point de vue, aide à avoir une visibilité plus claire du théâtre algérien, de son histoire comme de sa culture ou de son patrimoine immatériel.Ainsi, Ali Abdoun s'emploie à réhabiliter le patrimoine Ayrad, cet héritage culturel authentique et ancestral et ce, en le transposant au théâtre. Car, dit-il, «Ayrad est un acte théâtral.» Il comprend tous les ingrédients nécessaires à la mise en espace d'une tradition : costumes, masques, scénographie et jeu ; chant et danse. Ayrad est cérémonial ; dès la tombée de la nuit, des jeunes se déguisent et portent des masques ; parmi eux, il y a un homme qui joue le rôle de ayrad (lion) et une femme qui joue celui de «l'biya» (lionne). Tous font la tournée du village, se déplaçant au rythme du bendir et des chants d'une maison à l'autre pour recueillir des friandises et des fruits qu'ils remettent, plus tard, aux gens nécessiteux et ce, dans une ambiance festive. La légende veut que la lionne danse et tombe brutalement et commence à crier, provoquant ainsi Ayrad qui, sous le coup de la colère, commence à balayer tout sur son passage à l'exception de ses compagnons qui sont, en fait, ses lionceaux. La foule encore sous le choc du drame reste silencieuse attendant la trame de l'histoire. C'est à ce moment qu'Ayrad, à l'aide de son grand bâton avec lequel il frappe le sol pour dégager le terrain, prépare la piste de danse à la lionne. Se remettant sur pied, celle-ci reprend la danse. Au moment ou le chœur entonne, devant sa demeure, «Amoulay djerouane, dor ouaâkele» qui signifie «patron des lionceaux, tourne et danse», la maîtresse de maison se précipite dans la pièce où sont stockés les vivres pour en ramener une poignée qu'elle versera dans un sac. Ainsi, le rituel se poursuivra de maison en maison, jusqu'à l'aube, heure ou prendra fin le carnaval.