Défi - C'est à 72 ans, alors que l'année 2012 déclinait que Younès B. peut enfin affirmer, en toute fierté qu'il «sait lire et écrire». Il y a cinquante ans, au moment où le pays sortait à peine de la nuit coloniale, il avait à peine 22 ans et n'imaginait pas qu'il lui serait un jour possible de briser le carcan de l'illettrisme. Les cours d'alphabétisation qu'il suit avec application et assiduité depuis plusieurs années, lui valant quelquefois les railleries amusées de ses amis et les sourires de ses petits-enfants, «l'autorisent» aujourd'hui à acheter le journal dont il «avale» toutes les rubriques et même, assure-t-il, de «lire et comprendre la notice de (ses) médicaments». Younès B., rencontré dans un cybercafé a appris à lire et à écrire parmi beaucoup d'autres personnes de sa génération grâce à l'apport déterminant de l'antenne de Souk Ahras de l'Office national d'alphabétisation et d'enseignement pour adultes (ONAEA). Le directeur de l'annexe locale de cette structure, Khemissi Zeghdani, qui cache mal sa fierté au regard des progrès du reste «considérables» du vieux Younès, affirme qu'au lendemain de l'indépendance, 98 % de la population de Souk Ahras était analphabète. Durant les années 1970, ce taux a été ramené à 56 % grâce au programme d'«alphabétisation fonctionnelle», rappelle ce responsable avant de souligner que le recensement général de l'habitat et de la population de 2008 avait classé cette wilaya au 18 e rang national en termes de taux d'illettrisme. «Aujourd'hui, avec les efforts déployés également par les directions de l'Action sociale et des Affaires religieuses, de même que le programme algéro-belge d'appui à la lutte contre la pauvreté et l'exclusion, ciblant la commune frontalière de Sidi-Fradj, nous espérons que des milliers de Younès pourront enfin dire (je sais lire et écrire) et nourrissons aussi l'espoir de voir Souk Ahras se placer parmi les premières wilayas du pays en matière de lutte contre ce fléau», souligne M. Zeghdani. Créée en 2003, l'annexe de Souk Ahras de l'ONAEA a aidé plus de 9 000 personnes, dont 97 % de femmes, à apprendre la lecture et l'écriture. Elle a réussi à pénétrer les campagnes les plus reculées de la wilaya à la faveur de classes ouvertes dans 76 mosquées et même dans certaines maisons de particuliers dans les localités frontalières de Lekhdhara, d'Ouled Moumen, de Lehdada et de Sidi-Fradj. Cependant, pour M. Zeghdani, «dans les campagnes, l'illettrisme touche avec une - certaine intensité - la tranche d'âge des 20-45 ans dont beaucoup ont été incapables, pour des raisons essentiellement sociales, de fréquenter une école. Si pour les plus âgés, le colonialisme est la principale cause de leur incapacité à lire et à écrire, pour les plus jeunes, la décennie noire a eu «un effet négatif considérable dans la scolarisation, notamment des filles», selon ce responsable. Il reste que pour l'heure, Younès B. semble avoir du mal à faire des émules. En effet, contrairement aux femmes, les hommes, surtout les plus âgés, rechignent à «aller à l'école». Leur leitmotiv reste «Baâd ma chab aâlmouh lek'tab» (lorsqu'il vieillit, on lui a appris à lire).