Contestation - Au neuvième jour des manifestations qui secouent le pays, l'union sacrée des supporters des clubs de foot est venue grossir la foule. Malgré les appels répétés du Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, à l'arrêt immédiat de la contestation qui ébranle tout le pays depuis une dizaine de jours, des dizaines de milliers de personnes sont à nouveau descendues hier, samedi, dans les rues de la Turquie. Déterminés, des milliers de manifestants ont occupé la place Taksim d'Istanbul et le désormais fameux parc Gezi, dont la destruction annoncée a déclenché la plus grave crise politique depuis l'arrivée au pouvoir du gouvernement islamo-conservateur en Turquie en 2002. De nombreux supporteurs des trois grands clubs rivaux de football de la ville, Galatasaray, Besiktas et Fenerbahçe, sont venus grossir les rangs de la foule, sans que la police intervienne. A Istanbul, l'union sacrée des supporters des clubs de foot contre Erdogan est venu grossir la foule. Arda porte une écharpe du club de Galatasaray. A ses côtés, deux supporteurs de Fenerbahçe et Besiktas. «D'habitude, on se fout sur la gueule. Mais là, notre ennemi, c'est eux», dit-il en montrant les policiers à bonne distance de la place Taksim. Les supporters stambouliotes se vouent une haine farouche. Aujourd'hui, l'appartenance à l'un ou l'autre des clubs dépend beaucoup de la tradition familiale. On dit à la terrasse des cafés que leur rivalité est aussi vieille que la République. Mais le 31 mai a tout changé. Une banale manifestation contre le projet d'aménagement du parc Gezi, dans le centre d'Istanbul, a tourné à la plus importante contestation du pouvoir du Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, depuis onze ans. Et quand la police a fait tonner les canons à eau et les gaz lacrymogènes, les supporteurs des trois clubs ont fait cause commune. Menés par le «kop» de Besiktas, le plus ancien club turc (1903), des centaines de fans des clubs rivaux ont afflué. Samedi, c'est le kop de Fenerbahçe qui a symboliquement franchi le Bosphore pour arriver, applaudi par la foule, aux cris de «Nous sommes les soldats de Mustafa Kemal» sur la place Taksim. Tous sont désormais en première ligne de la contestation. Les maillots blanc et noir des «Aigles» de Besiktas croisent ceux de couleur marine et jaune des «Canaris» de Fenerbahçe et rouge et jaune des «Lions» de Galatasaray. A Ankara, la police anti-émeute, présente en nombre, a violemment dispersé environ 5 000 manifestants réunis sur la place de Kizilay, dans le centre-ville, faisant usage de gaz lacrymogène. Plusieurs manifestants ont été blessés. Critiqué pour la brutalité avec laquelle la police a réprimé la fronde, le gouvernement turc a joué hier, samedi, la carte de l'apaisement. «Le processus (des manifestations) est sous le contrôle du gouvernement, il se normalise et devient de plus en plus raisonnable», a jugé devant la presse le vice-Premier ministre, Huseyin Celik. La veille, M. Erdogan lui-même avait adouci le ton très ferme adopté depuis le début de la crise contre les contestataires. «Nous sommes contre la violence, le vandalisme et les actions qui menacent les autres au nom des libertés», a-t-il déclaré lors d'un forum international à Istanbul, mais «nous accueillons de tout cœur ceux qui viennent avec des exigences démocratiques».