Dix-huit juillet 1993. Nous sommes dans un faubourg de Florence, une jolie banlieue résidentielle que traverse l'Arno. Il est cinq heures du matin et le jour se lève à peine. C'est alors que, en contrebas d'un pont qui enjambe la rivière, un cantonnier aperçoit une forme allongée : une jeune femme. Il est tenté de poursuivre son chemin sans aller voir, car il arrive souvent que des touristes passent à cet endroit la nuit à la belle étoile, mais il s'approche tout de même. C'est qu'il y a le Monstre... Car, le Monstre de Florence, dont il est question dans un autre chapitre de cet ouvrage, est encore dans tous les esprits en cet été 1993, même si, au mois de janvier précédent, le présumé coupable, Pietro P., a été arrêté. Mais ce n'est justement que le «présumé coupable» et beaucoup de Florentins se refusent à voir dans ce paysan grossier et violent l'assassin qui les a terrorisés pendant des années. Le Monstre, pensent-ils, est d'une autre trempe. C'est un grand bourgeois ou, mieux, un aristocrate, qui sort la nuit de sa luxueuse demeure, pour assouvir ses instincts démoniaques... Voilà pourquoi, au lieu de continuer son travail, le cantonnier pose son balai et descend en contrebas du pont. «Signorina... Signorina !...» Mais la signorina ne lui répond pas. Elle ne répondra jamais plus à personne. Lorsqu'il lui secoue l'épaule pour la réveiller, elle se met à rouler sur la berge en pente, aussi molle qu'une poupée de chiffons, et elle s'immobilise quelques mètres plus bas, tout près de l'eau. Elle a une horrible plaie, rouge et bleu, au front. Le cantonnier se signe et s'enfuit, épouvanté, à la recherche d'un carabinier. Les rues désertes du faubourg résidentiel de Florence se mettent à résonner de ses cris épouvantés : «Le Monstre est revenu !... Le Monstre !» La presse, qui a toujours, s'agissant du Monstre de Florence, privilégié les hypothèses les plus sensationnelles, est du même avis. Elle fait ses gros titres sur l'assassinat des bords de l'Arno : «Le Monstre de retour ?», «Un nouveau crime du Monstre ?» La seule différence avec le cantonnier est que, plus prudente, elle termine par des points d'interrogation... La police, elle, est beaucoup plus réservée. L'enquête est confiée au commissaire Armando Alfaro, responsable du faubourg où le corps a été découvert, et non à la célèbre «Brigade anti-Monstre», la Squadra anti-Mostro, qui a traqué le meurtrier en série depuis des années, sous la direction du commissaire Ruggero Perugini. S'il s'avérait que les deux affaires sont liées, il serait toujours temps d'aviser, mais les premières constatations ne vont nullement dans ce sens. D'abord l'identité de la victime. Il s'agit de Fernanda V., vingt-trois ans, bien connue dans le quartier pour ses mœurs légères. Il ne s'agissait pas d'une prostituée au sens strict du terme, mais d'une fille facile, vendeuse au supermarché local, qui arrondissait ses fins de mois avec quelques aventures. Cela ne concorde pas avec les victimes du Monstre de Florence, qui étaient toutes des jeunes filles irréprochables. D'ailleurs, elles étaient en couple quand elles ont été agressées par le Monstre et leur compagnon a été tué lui aussi. Reste que Fernanda aurait pu avoir un galant qui aurait réussi à échapper au meurtrier. Mais malgré tous les appels à témoins, personne ne se manifeste : il semble bien que la victime était seule quand elle a été attaquée. D'ailleurs, rien ne concorde avec la grande affaire criminelle qui a défrayé la chronique. La jeune fille a été tuée d'un coup de couteau, alors que le Monstre tuait par arme à feu ; elle ne présente aucune mutilation - celle du sein gauche, par exemple ; elle était à pied et non en voiture ; enfin, elle a été violée, alors que le Monstre n'a jamais violé ses victimes. (A suivre...)