«Les cimetières sont pleins de gens irremplaçables qui ont tous été remplacés.» G. Clémenceau Nous pouvons remercier le ciel. Nous avons, peut-être, manqué de tout, mais nous avons été comblés de grands hommes qui ont bien voulu nous faire la condescendance de prendre nos destinées en main. Hormis Monsieur Boudiaf qu'on a supplié de venir et Monsieur Zeroual qui s'est retiré de son plein gré, plutôt que de se compliquer la vie, tous nos autres zouâma ainsi que leurs cours d'apparatchiks sont venus, malgré nous, pour pouvoir nous guider vers des horizons radieux et sont partis malgré eux. Tout comme ils voulaient faire notre bonheur malgré nous, disent-ils aujourd'hui. Dès l'indépendance, un homme jeune, charismatique, plein d'énergie et d'enthousiasme, véritable symbole anticolonial, sera mis en avant par d'obscurs chefs de clans, juste pour écarter de grands politiciens dont la compétence et la légitimité historique les désignaient tout naturellement aux commandes du pays... Le fougueux nouveau président aura juste le temps de préparer la nationalisation des bains maures et des kiosques à tabac, après un voyage mémorable aux Etats-Unis et à Cuba, en pleine guerre froide. Il sera escamoté du pouvoir en deux temps trois mouvements et le coup d'Etat sera pompeusement et le plus sérieusement rangé dans la rubrique glorieuse des «sursauts révolutionnaires». Le peuple allait découvrir, désormais, que la destinée l'avait gratifié de génies illustres, incomparables et qui soulevaient l'admiration sans bornes de l'humanité entière. Des hommes-pharaons qui faisaient pâlir de jalousie les chefs d'Etat arabes et maghrébins. Qui faisaient trembler les grandes puissances mondiales ! Alger était devenue la mecque de tous les agités de la planète, qui venaient se prélasser dans le luxe des résidences d'Etat et s'éclater dans des orgies mémorables. Parmi eux, il y avait, néanmoins, d'authentiques révolutionnaires que le pouvoir utilisait comme vitrine, mais qui ne restaient pas longtemps. Une curieuse épidémie allait s'abattre sur tout le pays. C'était la «révolutionnite». Presque tout le monde en était atteint. Les symptômes en étaient très révélateurs. Ceux qui en étaient atteints avaient une furieuse envie de rouler en voiture noire aux vitres fumées. Quand ils discouraient, ils frappaient le pupitre avec l'index replié, parlaient tous de réaction intérieure et extérieure, de rendez-vous avec l'histoire. Ils passaient leur temps d'une réunion à une autre, d'une inauguration à une visite officielle. Ils avaient tous des cloques dans les paumes à force d'applaudir. Jusqu'à ce qu'un beau jour, il se passa ce qui se passa. Mais au lieu d'aller se coucher, tout ce beau monde changea le fusil d'épaule. Et de discours aussi.