Répartition En 1880, l?embryon d?état civil colonial distinguait entre ceux qui étaient nés au port d?Oran et qu?il appela Oranais et ceux qui étaient nés hors du port et qu?il désigna sous le nom de tribus d?Oran. Ces tribus, qui peuplèrent la haute plaine qui servira plus tard d?assiette à la ville que nous connaissons aujourd?hui, étaient exclusivement originaires des zones les plus pauvres de la région : El-Gaâda, Tafraoui (souvenez-vous la peste de Kehaïlia) et Kristel. En fait, les zones les plus enclavées. Particulièrement Kristel. Ici, les mêmes familles se perpétuent, de père en fils depuis dix générations. Sans déroger à la règle. Les mêmes coutumes sont observées, les mêmes traditions sont conservées. Même l?eau est distribuée en fonction des besoins de chaque famille, au niveau de l?agriculture essentiellement. A la manière des us de Kristel, à la kristellienne. Mais où se trouve Kristel, que les Arabes ont toujours prononcé Krichtel ? C?est une crique qui sert de refuge aux petits pêcheurs, coincée entre la montagne des Lions et l?entonnoir des trois Hassi (Ameur, Bounif et Mefsoukh). A partir d?Oran on peut rallier ce petit port en passant par Canastel, la corniche-est et Aïn Franin et depuis Arzew par le village de Gdyel (ex-St-Leu) puis la départementale qui traverse une région très dense par ses maquis et ses forêts, mais aussi très peu peuplée. Ce qui explique pourquoi les rares terroristes qui activent dans la région se sont toujours repliés ici. D?ailleurs, la plupart de leurs forfaits ont été commis sur place. Lorsqu?on visite pour la première fois Kristel, on est tout de suite frappé par le côté Casbah du village. A part l?école primaire laissée par les Français et qui tenait encore il y a quelques années, le reste est un bazar de maisons basses, d?échoppes et de vieux commerces. Et puis il y a la mer. Non pas celle généreuse, impétueuse, volontaire, paisible ou démontée, salvatrice ou démente. Non. Cette mer est presque réglée sur une mécanique ondulatoire. Quant à sa berge, pas la peine de rêver. Il n?y a ni palmier, ni sable fin et doré, ni même de sable tout court. C?est un pavé, un gros pavé de galets qui n?encourage ni le rêve, ni la pêche, ni la méditation. On ne se baigne pas à Kristel. On regarde les vagues mourir et les galets voler? c?est tout. En fait, Kristel vit en dehors de sa mer. Elle lui tourne le dos comme si elle n?existait pas ou qu?elle faisait partie du parc immobilier de la cité. La raison en est très simple. Parce que la mer a été pingre avec les Kristellis : ni poissons en abondance, ni vacanciers en surnombre, ni espaces pour se baigner. Rien. La mer a toujours été avare ici. Elle n?a jamais rien offert aux villageois et les villageois ne lui offriront jamais rien. C?est dans la culture du Kristelli : la mer est excentrique dans ses rapports avec le monde et le monde, à preuve du contraire, a les pieds fermes. Et c?est précisément sur la terre ferme que Kristel, déjà terriblement isolée du reste du monde, nouera et tissera ses plus solides relations avec l?autre. Curieusement, c?est dans ses rapports avec les animaux qu?elle construira son identité. Ainsi et concernant les êtres marins, les enfants ont apparemment un penchant prononcé pour les anguilles, tellement prononcé qu?il y a quelques années, ils avaient fait du bassin communal un aquarium pour l?un de leurs protégés qu?ils avaient baptisé Popeye. Ce n?est donc pas demain la veille que Kristel s?ouvrira au monde extérieur et ce n?est pas demain la veille non plus qu?elle y mettra les pieds. Téléphone, parabole, antennes télé, proximité d?une métropole de la taille d?Oran, Kristel reste un port d?un autre âge, une cité où le temps s?est irrémédiablement figé. A moins?