Pression n Depuis près de cinq ans que la guerre fait rage de l'autre côté de la frontière, Kilis s'est lentement muée en «petite Syrie». Déjà dépassés en nombre par leurs voisins, les habitants de la ville turque redoutent l'arrivée d'une nouvelle vague massive de réfugiés. Devant l'hôpital local, une jeune infirmière résume sans détour son sentiment : «Je ne me sens déjà plus en Turquie. A chaque pas que vous faites, vous tombez sur un Syrien», lâche Tugba Kaya, «s'il y a un nouvel exode de masse, la vie ici sera paralysée». A seulement quelques kilomètres de là, des dizaines de milliers de civils syriens, femmes, enfants et vieillards pour l'essentiel, continuent à se masser depuis vendredi devant le no man's land bétonné qui sépare les deux pays. La peur au ventre, ils ont fui Alep à la hâte, poussés à l'exode. Depuis vendredi, les barrières du poste-frontière d'Oncupinar sont restées baissées. Les déplacés sont pour l'heure cantonnés dans des camps de fortune installés dans la localité frontalière de Bal al-Salama, juste en face. Mais la pression monte côté syrien, où la situation humanitaire est déjà qualifiée de «désespérée». Les estimations les plus alarmistes circulent côté turc sur l'ampleur de la nouvelle vague qui pourrait déferler sur Kilis. Le gouverneur de la province, Suleyman Tapsiz, a parlé d'un exode «possible» de 70 000 civils. Le porte-parole du gouvernement Numan Kurtulmus a évoqué 100 000 déplacés. La population des zones d'Alep tenues par les rebelles est estimée à 350 000 personnes. De quoi faire monter la grogne des résidents de Kilis. «A cause de tous ces Syriens, de plus en plus de Turcs souffrent du chômage et de la faim. Et les loyers ont grimpé en flèche», constate Yasar Mavzer, «l'Etat doit d'abord s'occuper de nous». Avant le début de la guerre civile syrienne, la ville-frontière turque comptait environ 100 000 habitants. Selon les autorités locales, elle a plus que doublé de volume avec l'arrivée de 134 000 Syriens. Seuls 34 000 sont installés dans des camps. Les autres vivent en ville, la plupart de petits boulots. «Ici, tout est fait pour les Syriens. Les emplois, les logements. Mais les gens d'ici sont aussi des êtres humains, non ?», s'emporte M. Mavzer. «Ce serait quand même beaucoup mieux si les Syriens vivaient dans une zone de sécurité sur leur territoire plutôt qu'ici chez nous en Turquie», préconise-t-il. «Kilis est une petite ville qui n'a pas les moyens de supporter tant de gens», renchérit Mehmet Zeytcioglu, un épicier de 50 ans. «Que Dieu leur vienne en aide...» Directeur du centre de recherche sur les migrations et la politique de l'université Hacettepe d'Ankara, Murat Erdogan juge la grogne de la population turque de Kilis parfaitement «naturelle». «Si encore plus de Syriens débarquent en ville, ils vont provoquer un engorgement des services municipaux et pourraient aussi favoriser une hausse de la criminalité», pronostique-t-il, «tout ça va mettre la patience des locaux à rude épreuve». R. I. / Agences Alep, le tournant l Parallèlement, la pression pourrait s'accroître sur la zone frontalière car les troupes syriennes progressent dans le nord de la province d'Alep, soutenues par des raids aériens russes. Elles ne se trouvaient plus dimanche qu'«à 7 km de la ville de Tall Rifaat, un des trois derniers bastions des rebelles dans le nord de la province», avec Azaz et Marea, a indiqué Rami Abdel Rahmane, le directeur de l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH). Leur «objectif ultime de parvenir à la frontière turque», distante d'une trentaine de km, «pour empêcher tout passage de rebelles et d'armes à partir de la Turquie», a-t-il précisé. La bataille d'Alep est susceptible d'être un tournant dans la guerre syrienne car une perte totale de la deuxième ville du pays, divisée depuis 2012, porterait un coup très rude aux rebelles, par ailleurs en difficulté sur d'autres fronts. Dans la province de Damas, l'armée encercle depuis samedi soir la ville de Daraya aux mains des insurgés depuis 2012.