Tradition «Machahouà que mon conte soit beau et se déroule comme un fil», c?est par cette formule incantatoire que les conteuses des chaumières du Djurdjura entament toujours leurs contes. Quand le vent mugit au dehors et que les chacals glapissent au clair de lune, durant les longues et glaciales soirées hivernales, les membres de la famille se rassemblent autour de l?âtre traditionnel, le kanoun, où pétillent joyeusement les flammes d?un feu de bois. Au milieu de la ronde, prend place la conteuse qui se fait souvent prier par les enfants, avant de se résoudre à raconter, un puis deux et toujours plusieurs récits. Le décor de cette scène conviviale est d?ailleurs superbement décrit par le chanteur Idir dans son tube Avava Inouva, la version kabyle du Petit chaperon rouge. Un silence quasi religieux s?installe dès que la narratrice se met à faire son récit. Elle commence d?abord par fermer les yeux, comme dans une séance d?hypnose, pour mieux envoûter son auditoire et le transporter dans un monde imaginaire atemporel et hors espace, peuplé de personnages fabuleux. Avec une diction et un ton théâtraux, judicieusement adaptés aux différentes situations de l?aventure, le suspense est maintenu jusqu?au dénouement. «Il était une fois dans une contrée lointaine à» ou «un jour, parmi les jours que Dieu fait...», c?est par ces génériques que sont entamés presque tous les contes, dont la trame est fondée sur une vision dualiste des choses de la vie, opposant le bien au mal, le bon au méchant, l?avare au généreux, le fidèle au traître, le courageux au poltron et autres antagonismes émaillant les contes et légendes populaires, où la vertu et la justice finissent toujours par triompher, comme dans les films. Mais il arrive, parfois, que la morale de l?histoire déroge à cette règle générale, comme c?est le cas dans le conte de M?smar et M?simar, où la providence, pour punir une communauté qui s?est écartée du droit chemin, a jeté son dévolu sur M?smar le truand pour en faire le gouverneur de la province, au grand dépit de M?simar le magnifique idéaliste, condamné à prêcher la bonne parole dans le désert où il fut exilé par le despote, pour lui apprendre à se révolter contre ses vils desseins. Concurrencé par d?autres formes de divertissement, le répertoire des récits magiques s?amenuise de plus en plus, constate-t-on tant en Kabylie qu'ailleurs en Algérie. Cette réalité est d?ailleurs perçue par des enseignants de la langue amazighe, qui déplorent la situation de manque de supports pédagogiques, surtout des contes qui constituent un moyen de choix pour l?apprentissage de cette langue et même d'autres.