Rappel Jusqu?au XIXe siècle, l?Orient n?était pas très connu par l?Occident. La représentation que l?Occident avait des musulmans n?existait qu?à travers la littérature ou la peinture des XVIIe et XVIIIe siècles. Ces écrivains comme ces peintres ne s?étaient nullement déplacés en terre d?islam pour raconter et décrire ? objectivement ? l?Orient. A l?époque, l?Orient, en vogue, était un effet de mode. Ses différentes représentations étaient destinées uniquement à amuser et à faire rêver l?Européen en l?entraînant vers un imaginaire merveilleux et lyrique, et ne portaient point de connotations politiques. Mais au XIXe siècle, époque à laquelle la nation musulmane tomba sous le joug du colonialisme occidental, toute représentation de l?Arabe cachait en filigrane une intention dominatrice. L?Orient devient un objet d?étude et non pas un sujet de recherche et de réflexion. L?on parle à cet effet d?orientalisme, c?est-à-dire le regard de l?Occident sur l?Orient. Ce regard est loin d?être objectif puisque l?Arabe ? ou le musulman ? était représenté par des stéréotypes : un non-civilisé, un inculte, un rétrograde et un extrémiste et, de surcroît, plein de défauts. L?image de l?Arabe que faisait voir au monde le XIXe siècle était figée, pièce par pièce, fabriquée par l?Occident afin d?exercer son hégémonie sur lui et maintenir sa présence, donc son autorité, en terre d?islam et l?exploiter jusqu?à l?instrumentaliser. Pis encore, le réduire à l?état d?objet, en spoliant ses biens matériels et en le dépossédant de son identité culturelle et historique, donc de sa mémoire. Mais l?Occident est aussi regardé par l?Orient. Le texte de Ibn Fadhlan, Voyage chez les Bulgares de la Volga, est représentatif dans la mesure où il décrit l?autre, l?Européen. Lors de son périple au début du Moyen Age en ces terres reculées à la tête d?une ambassade, Ibn Fadhlan perçoit l?Européen à l?état sauvage et misérable. Il le découvre différent. Les Occidentaux vivaient pauvrement, dans le dénuement moral et civilisationnel. Sales, répugnants et superstitieux (donc incultes), obséquieux, grossiers et sans pudeur, ils étaient dépourvus de conscience intellectuelle, ne recourant point à la raison pour agir, se laissant aiguiller par l?instinct. L?auteur les a qualifiés d?ailleurs d?«âmes errantes» et les a considérés comme des rebuts de l?humanité. Le contact de l?Arabe aboutissait à la problématique fondée sur l?opposition civilisé/sauvage. Le texte de Ibn Fadhlan peut agir comme un contre-discours allant contre la vision européo-centriste, celle qui met l?Européen sur un piédestal. Même les Arabes ? ou les musulmans ? étaient des civilisateurs que l?islam a enfantés, une civilisation multidimensionnelle qui a rayonné à travers le monde. Et il n?est nullement question de prétendre être l?unique détenteur et garant du savoir. Son texte vient ruiner ces prétentions et relativiser le rapport entre Orient et Occident.