Précurseurs n La jet-set des années 1950 en Oranie l?avait inventée bien avant les Français de l?Hexagone. L?idée de vacances d?hiver et d?été jumelées dans la même année a été créée en réalité par une bourgeoisie pieds-noirs de manufacturiers et de négociants en vin. En décembre, ils prenaient leur quartier à Vichy où ils se refaisaient une santé et en été ils taquinaient les vagues soit sur les plages de la corniche ouest soit sur celles de la corniche est beaucoup moins connue et beaucoup moins cotée. La «Fontaine des gazelles», en effet, n?attirait que quelques solitaires en mal de spleen, mais confortablement cossus et les rêveurs «friqués» que ce site sauvage du littoral inspirait, loin du port d?Arzew. Arzew, à cette époque, n?était qu?un humble abri de pêche construit au pied du plateau, nu à la couleur ocre, perpétuellement envahi de chèvres. D?ailleurs, hormis le poisson c?était la seule chair à portée de bourse et surtout disponible. 70% des embarcations qui prenaient le large appartenaient à des Espagnols, des réfugiés républicains qui ne roulaient pas sur l?or. Ils habitaient des bicoques grossièrement clouées au sol, des mansardes qui donnaient à Arzew l?air d?un hameau des Asturies au siècle dernier. La petite communauté ibérique très chrétienne et très catholique avait gardé par devant elle de vieilles traditions héritées de la chaude Espagne : ils crapahutaient comme des forçats pendant toute la semaine, se grisaient de «cerveza» ou de sangria le samedi, accompagnaient le tout d?une bonne paella aux arômes marins et finissaient leur gueleton, une larme sur les joues en chantant le paradis perdu de leur Andalousie. Ils n?oubliaient surtout pas l?office du dimanche et mariaient toujours leurs enfants au nom «du père et du maire». Il n?y a pas de quoi fouetter un chat et encore moins les chèvres dont la prolifération risquait de perturber le microclimat. Car en fait de chèvres, les Arzewiens ont toujours été bien servis. Il y en avait partout jusques et y compris dans le cimetière de Sidi Souiyah. Il ne se passe pas un jour d?ailleurs sans que cette nécropole, suspendue à 300 m du niveau de la mer et qui domine la baie, soit souillée par le passage de caprins dont on trouve régulièrement les crottes éparpillées sur les tombes. Pour l?anecdote, le dernier Espagnol a quitté Arzew en 1961 à bord d?une barque de fortune pilotée par son jeune fils.