Légende n La doyenne de la chanson a tiré, hier, sa révérence à l'âge de 83 ans, après avoir donné un concert, samedi, au Zenith de Paris. Cheikha Remitti est allée , comme tant d'autres avant elle, rejoindre le panthéon des noms qui ont marqué la culture algérienne. Elle nous a quittés alors qu'elle entamait une série de concerts en France et en Europe. Éternelle rebelle, femme au verbe souvent indigné et aux attitudes provocantes, elle était, de son vivant, une légende et elle restera, après sa disparition, un mythe, un nom qui résonnera à jamais dans nos mémoires. Tout le monde s'en souviendra. Car c'était une artiste, une vraie qui, de par son charisme, a su s'imposer dans les consciences, en dépit de l'indifférence des uns et du rejet des autres. Elle s'était imposée sur la scène artistique parce qu'elle était cruellement éprouvée par la vie : autant de maux de la vie qui l'ont endurcie et rendue persévérante. C'était une battante, une femme qui ne reculait devant aucune difficulté. Elle défiait la vie. La preuve : elle a continué à chanter jusqu'à sa mort. Car elle aimait la musique. Grâce à ses chansons qui racontent la vraie vie, Cheikha Remitti a acquis une renommée internationale. C'était une personnalité hors du commun. Son histoire se confond avec celle de l'Algérie. Née à Tessala (village situé près de Sidi Bel Abbes, dans l'Ouest algérien) le 8 mai 1923, la petite fille prénommée Saïda se retrouve très vite orpheline. De Remitti, on ne connaît que le vrai prénom car la chanteuse a toujours soigneusement caché son nom officiel afin d'épargner sa famille. À 20 ans, elle s'installe à Relizane, un grand centre colonial où la vie est rude. La pauvreté, les épidémies et la famine sévissent. «On grillait le grain de blé pour remplacer le café, que l'on buvait avec du sirop. C'était l'époque où l'on s'habillait de toile de matelas et où l'approvisionnement s'effectuait avec des bons», raconte-t-elle dans un entretien donné à Bouziane Daoudi, journaliste du quotidien français Libération. La jeune Saïda, qui dort dans les rues, dans les hammams et mange quand elle le peut, se met à suivre une troupe de musiciens ambulants. Elle connaît Cheikh Mohamed Ould Ennems, un musicien à l'époque célèbre, qui la fait enregistrer à Radio Alger. C'est à cette époque qu'elle gagne son surnom. L'histoire raconte qu'un jour de pluie où elle entrait dans une cantine pour boire un café, les clients l'ont reconnue et acclamée avec ferveur. Pour les remercier, elle veut leur offrir une tournée mais ne connaissant que quelques mots de français, elle dit à la serveuse «Remettez, madame, remettez». Le public la baptise aussitôt « la chanteuse Remitti». En 1952, elle enregistre son premier disque chez Pathé et sort Charrak Gatta, son premier succès, en 1954. À la fin des années 1970, elle pique un coup de sang lorsqu'elle apprend que des chanteuses reprennent son répertoire en France. En 1978, elle débarque à Paris et écume les hauts lieux de la chanson maghrébine populaire. Interdite de spectacle en Algérie au plus fort des événements, elle trouve en France un nouveau public. Les nouvelles générations la découvrent. Elle enregistre même un disque de pop-raï sous la houlette de Robert Fripp, l'élégant rocker expérimental. Et en février 1994, elle donne un concert mémorable au très prestigieux Institut du Monde arabe, à Paris. Depuis lors, on peut l'écouter dans de nombreux festivals et des salles de concerts.