Décor n Seul le relief, fait de vastes plaines verdoyantes, diffère des collines abruptes des hauteurs de Tizi Ouzou et de Béjaïa… Leur accent fait penser à des ouvriers venus de Kabylie à la recherche d'un travail à Alger. La surprise est inévitable quand ils affirment être nés à Souidania, il y a plus de cinquante ans pour certains. Ils occupent un village agricole situé à environ un kilomètre de la ville. Une quinzaine de maisons en tout et pour tout. N'étant pas baptisé, le village est désigné par l'origine de ses habitants. Qariat Leqbaïel, le village des Kabyles. Dda Amar, un octogénaire, est ici depuis les années 1940. N'ayant rien perdu de sa lucidité, il se souvient du jour où il a été contraint de quitter son village du côté d'Akfadou, près de Béjaïa. «C'était au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Nous n'étions pas les seuls à quitter le village. La misère était devenue intenable…» Tous les habitants ont alors décidé de quitter le hameau perché au sommet d'une colline. A l'époque, l'exil était le seul moyen de subsister pour tous les Kabyles. Sauf que Dda Amar et ses voisins n'ont pas pris la destination de la Métropole et n'ont pas, comme il était d'usage à l'époque, laissé femme et enfants au village. C'est au cœur de la Mitidja qu'ils ont décidé de s'installer avec leurs familles. «Nous travaillions comme ouvriers agricoles chez les colons et nous logions dans des gourbis de fortune dans les environs.» Les conditions de travail étaient assimilables à de l'exploitation, témoigne-t-il. Sur place, ils ont été rejoints par d'autres exilés fuyant la misère. Le hasard a voulu qu'ils soient aussi de Tizi Ouzou. A l'avènement de la réforme agraire et la construction des premiers villages socialistes, c'est tout naturellement que tous les ouvriers agricoles des parages ont été regroupés dans le même village. Deux familles originaires de Médéa les ont rejoints. «C'est comme ça qu'un village kabyle a vu le jour au cœur de la Mitidja», explique Hamid, la cinquantaine. Dans les années 1970, il était un jeune homme robuste et avait déjà commencé à «rouler sa bosse» dans les travaux des champs. Il continue à le faire, d'ailleurs. Il fait partie de ces irréductibles attachés viscéralement à la terre. Contre vents et marées, il entretient quelques hectares de vigne et s'essaie parfois à la céréaliculture. Même s'il est né à Souidania, le brave agriculteur a gardé l'accent kabyle de ses ancêtres. C'est qu'il s'exprime presque exclusivement en kabyle. L'héritage est transmis de père en fils. Même les plus jeunes, qui fréquentent pourtant l'école de la ville, ne semblent pas influencés que par leur entourage immédiat. C'est avec une fierté affichée qu'ils arborent des casquettes et des tee-shirts aux couleurs de la JSK. Les postes radio des rares véhicules qui passent diffusent sans discontinuer des chansons de Matoub. Les courettes des maisons sont ornées de figuiers et de vignes, comme en Kabylie. Seul le relief, fait de vastes plaines verdoyantes, diffère des collines abruptes des hauteurs de Tizi Ouzou et de Béjaïa…