C'est une histoire qui remonte à la fin du premier millénaire de notre ère. Nous sommes à Rome, et le souverain pontife se nomme Sylvestre II. C'est un pape français, puisqu'il est originaire d'Aurillac. Sylvestre II, une nuit, voit un ange qui lui commande d'offrir une couronne, préparée pour le roi de Pologne, à un autre roi dont le messager doit arriver incessamment. Pas question de discuter... Ce même jour, Sa Sainteté reçoit un moine allemand et lui dit : «Tenez, je vous confie un objet très précieux, pour notre très cher fils Etienne, le fils du prince Géza. Puisqu'il est le premier roi de notre chère Hongrie, je tiens à lui offrir cette couronne royale. J'admire en lui le prince éclairé qui admet de faire cohabiter en harmonie, dans ses Etats, les races les plus différentes. — Très Saint Père, les Hongrois possèdent, dit-on, en ce roi magyar, descendant d'Arpad, un souverain qui est digne d'être un saint...» Cette réponse n'est pas tombée dans l'oreille d'un sourd. Etienne quitte ce bas monde en 1038. En 1081, il sera canonisé et deviendra le désormais célèbre saint Etienne. Mais pour l'instant, nous n'en sommes qu'à l'enterrement du roi Etienne Ier de Hongrie. On procède à l'inhumation du roi, revêtu du manteau qu'il portait au couronnement, un manteau de soie qui représente le Christ sur son trône. Il foule aux pieds un lion et un dragon. Le chef d'Etienne est surmonté de la croix envoyée par le pape. Qu'il repose en paix... Cent ans plus tard, les successeurs d'Etienne n'hésitent pas : ils ouvrent la tombe du saint et s'emparent de la couronne royale ainsi que du manteau et des bijoux qui les accompagnent. Ils estiment normal que les successeurs du premier roi de Hongrie profitent, eux aussi, du «pouvoir mystique» des attributs de la royauté. Que se passe-t-il au cours de cette exhumation sacrilège ? Nul ne le sait, mais la croix qui surmonte la couronne est tordue. Et le restera. Désormais cette couronne, au pouvoir presque magique, prend une identité propre. La bulle d'or de 1222 proclame que, dorénavant, la Hongrie est la propriété de cette sainte couronne. La souveraineté appartient tout ensemble au roi et à la nation hongroise. Gare au roi, s'il ne respecte pas la bulle... Plus tard, on prononcera les décisions de justice au nom de la sainte couronne, et cela jusqu'en... 1945. En 1301, la dynastie issue d'Arpad s'éteint. Les luttes les plus féroces déchirent les princes qui entrent en compétition pour la royauté. La couronne part à l'étranger et échoit à un prince allemand tout à fait conscient du pouvoir qu'il a entre les mains. Il la fait enfermer dans un coffre en bois, qu'il ne quitte jamais... jusqu'au jour où il le perd. La Hongrie n'a plus de couronne ; mais un coup de filet miraculeux la ramène du fond d'un lac, où elle avait sans doute été cachée... Les princes hongrois, cependant, n'attendent plus le retour hypothétique de la couronne de saint Etienne pour monter sur le trône royal. D'autres couronnes symbolisent leurs droits : en vain, car les Hongrois, au fond d'eux-mêmes, attendent comme unique prince légitime celui qui portera celle d'Etienne. Un prince de la maison d'Anjou essaye par quatre fois d'être reconnu comme roi, avec quatre couronnes différentes. Echec complet, jusqu'au jour où il peut produire la relique à la croix tordue. Il prend une décision énergique : «Désormais la couronne du saint sera mise sous bonne garde, au fond de la citadelle de Buda.» (à suivre...)