Formules n Le centre de vieillesse. Voilà une belle invention du système qui permet de cacher, derrière de hautes palissades, tous les mendiants et mendiantes qui «jonchent» et encombrent nos rues. Et puis comment expliquer aux étrangers qu'un pays qui vend du pétrole et qui importe des Mercedes est incapable de prendre en charge la frange la plus vulnérable de sa société : les seniors déshérités. Et c'est ainsi que l'on a assisté, il y a quelques années, à de véritables descentes de fonctionnaires du Croissant-Rouge qui «ramasseront» par fourgons entiers ces épaves échouées sur la berge de la vie et les trottoirs…des grandes villes sans cœur. Mais si la plupart viennent de trous perdus, de lieux sans nom, souvent sans attache et sans mémoire, quelques-uns d'entre eux ont été volontairement menés là et abandonnés par les leurs comme des baluchons inutiles. Qui sont-ils ? Certains pensionnaires avaient un domicile, une famille, des enfants, des petits-enfants et une dignité qui n'avait pas besoin d'avoir pignon sur rue. Elles avaient des belles-filles, menaient une existence presque insouciante quand le mari, encore vivant, avait son mot à dire et décidait de ce qui était bien et de ce qui ne l'était pas et auquel tout le monde obéissait au doigt et à l'œil. Sa seule présence dissuadait plus d'une fronde, refoulait plus d'une rancœur et faisait obstacle à toutes les velléités. Et quand l'unique barrage cède, c'est l'inondation. Il n'y a plus rien à sauver. Pas même les meubles. Commencent alors les premiers couacs à la maison, une maison vidée par ce qui faisait sa sève, devenue sans écho, sans relief. C'est tantôt la belle-fille qui sermonne copieusement la belle-mère, souvent pour une broutille, tantôt le fils qui ose faire des reproches désobligeants à sa propre mère. Poussé en général par sa femme qui a d'autres ambitions. De scènes de ménage en scènes de ménage, de disputes en disputes, de provocations en provocations, la vie devient bientôt impossible au domicile et les belles-filles qui ont besoin d'espace vital, font tout pour entretenir cette atmosphère. Les unes accusent la pauvre dame de sorcellerie, les autres les traitent de vipère et menacent leurs époux de partir. C'est elle ou c'est moi. Et généralement c'est elle, la malheureuse maman, qui prendra la porte. En minorité chez elle, mal acceptée, objet de toutes les frustrations des belles-filles auxquelles elle bouchait l'horizon, n'ayant plus de famille à son âge, elle n'aura d'autre alternative que de se soumettre à la sentence de ses enfants : le foyer des personnes âgées. Là au moins, elle aura la paix, ses belles-filles aussi et tout le monde y trouverait son compte. Il y a une dizaine d'années, les téléspectateurs algériens ont été littéralement bouleversés de voir parmi les locataires du centre de Blida… l'épouse de Mohamed Touri, l'un des hommes les plus talentueux de son époque, l'un des hommes les plus riches aussi et les plus nantis de la Mitidja. Dans le centre de Tlemcen, certaines femmes dont on protégera l'anonymat sont issues des plus grandes familles de la région. Leur tort : elles sont inutiles et posent problème. Autrement dit, elles ont fait leur vie, qu'elles fichent la paix aux autres et qu'elles attendent sagement leur tour pour aller au ciel.