Ici comme ailleurs, la mendicité croît et se développe à une allure inouïe, sous des formes et des apparitions plus ou moins spécieuses, mais sciemment montées en épingle afin d'apitoyer les âmes charitables qui se trouvent devant un vrai dilemme : comment reconnaître les vrais démunis des faux mendiants. En tout état de cause, une chose est sûre : la recrudescence de la mendicité dénote que ce fléau national est loin d'être une circonstance fortuite, mais bel et bien la conjonction de beaucoup de facteurs que nous résumons en la paupérisation de larges pans de la société, le chômage galopant, les drames conjugaux et l'inexistence de perspectives d'emploi. Les villes et les villages de la wilaya de Mila, à l'instar des autres régions du pays, comptent par dizaines, voire centaines, leur lot de mendiants et de gueux sillonnant les artères et s'agglutinant dans les placettes publiques ou sur le perron des mosquées. Cependant, la présence de nuées de demandeurs d'aumône est beaucoup plus accrue durant les journées de marché hebdomadaire, que ce soit à Tadjenanet, à Chelghoum Laïd, à Oued Athmenia ou à Teleghma, en passant par Ferdjioua, Grarem, Mila et Rouached. Le spectacle est on ne peut plus saisissant : par dizaines, les quêteurs de charité débarquent d'un peu partout pour se livrer au rituel des lamentations. Tous les artifices pour amadouer les passants sont mis en branle : exhibition d'ordonnance, sanglots, pleurs, jusqu'à la présentation du livret de famille ou l'impotente affichée avec ostentation. Il serait, par ailleurs, tout aussi injuste de dire que toute cette faune de pauvres déguenillés sont, sans discernement, des attrape-nigauds ou des grippe-sous paresseusement confortés dans la collecte du gain facile. Mais là où l'on perd son latin, c'est devant la montée au créneau d'une nouvelle catégorie de mendiants correctement habillés qui sont souvent aux aguets, guettant des proies faciles. « Cette engeance de vrais-faux nécessiteux est étrangère à la région », nous affirment des riverains. Et d'ajouter : « Après avoir collecté suffisamment d'argent, ils s'éclipsent pour aller refaire leur coup ailleurs. » Dans la plupart des cas, nous explique-t-on, ces énergumènes sont accompagnés d'une partenaire qui fait office d'épouse, jurant tous les dieux qu'ils n'ont pas de quoi se nourrir ou de quoi rentrer chez eux. Ces couples, à la mine patibulaire, respirant à plein nez la jeunesse, inspirent peu de confiance aux gens qui les reluquent de bas en haut. N'empêche que quelques fidèles se laissent prendre au piège et succombent aux incantations pathétiques formulées très discrètement. Pour l'anecdote, quelques plaisantins enjoués, très au courant de ces pratiques douteuses, ne s'embarrassent d'aucune gêne pour lancer des remarques allusives et contrariantes à l'endroit de ces mendiants « new-look » qui, généralement, acceptant ces coups de gueule désobligeants, préfèrent s'effacer subrepticement, non sans faire preuve d'une courtoisie et d'un flegme déroutants. Si, en somme, des prises de bec et même des altercations entre mendiants se disputant les endroits ayant pignon sur rue sont fréquentes, que dire alors de ces poignantes scènes de ribambelles de gosses multipliant à l'entrée des mosquées les jérémiades et les pleurnicheries ou encore la vue émouvante de ces fillettes en bas âge tirant sur la jambe des passants pour les attendrir. Le mal, quoi qu'on en pense, est plus profond que cela.