Succès n Le feuilleton turc Nour diffusé sur la chaîne satellite MBC suscite depuis des mois un intérêt phénoménal des téléspectateurs arabes. On ne parle que d'eux. Ce ne sont ni des champions olympiques ni des gagnants de la Star 'Ac. Il s'agit de Nour et Mohannad, héros d'un feuilleton turc doublé en arabe qui tient en haleine depuis des mois des millions de téléspectateurs à travers le monde arabe. De Beyrouth à Alger, en passant par Ramallah ou Djedda, ils sont des millions à ne pas rater un seul épisode de cette saga familiale qui raconte les péripéties d'un jeune couple turc tiraillé entre tradition et modernité. «J'adore !», s'exclame Safaa Abdel Hadi, une Cairote de 65 ans. «C'est aussi glamour que les feuilletons mexicains ou américains, et en plus, la famille dans Nour est musulmane, on a donc plus d'affinités avec les personnages». «Ils nous ressemblent», renchérit Ibtissam Issa, ménagère libanaise de confession chrétienne. «J'aime leur attachement à la tradition et leur solidarité en tant que famille», explique-t-elle. La série montre toutefois une femme qui quitte la maison conjugale avec son bébé pour vivre seule dans un appartement et une autre femme qui tombe enceinte avant le mariage, de quoi choquer certains fans. «Il ne faut pas se leurrer, le feuilleton reflète bien une culture et des problèmes occidentaux, pas les nôtres», affirme Nadia Abdel Rahmane, une Egyptienne de 34 ans. Pour ne pas heurter les «sensibilités» du public arabe, la société de doublage à Damas a pris soin de censurer les passages intimes dits «inappropriés». «Sama production» a réussi un coup de maître en choisissant de doubler en arabe parlé, moins cérémonieux que l'arabe littéraire, avec l'accent syrien, apprécié des téléspectateurs arabes en raison des feuilletons syriens à succès de ces dernières années. Et c'est surtout l'acteur Kivanç Tatlitug, alias Mohannad - blond, yeux bleus, sourire ravageur - qui fait palpiter le cœur de ces dames, au point que des télévisions arabes ont fait état de demandes de divorce de maris... jaloux. Le phénomène est tel, que le mufti d'Arabie saoudite a lancé récemment une fatwa contre ce feuilleton jugé «subversif» et «anti-islamique», affirmant que toute chaîne qui le diffuse est «ennemie de Dieu et de son prophète». Paradoxalement, c'est bien une chaîne satellitaire saoudienne, la MBC, qui diffuse la série et qui a même organisé un dîner à Dubaï en l'honneur des deux acteurs principaux au printemps dernier, provoquant une hystérie générale. Fatwa ou pas, la «Nourmania» fait des ravages. Au souk de Tunis comme à Jérusalem-est, des t-shirts frappés des photos de Mohannad et Nour se vendent comme des petits pains. - À Naplouse, en Cisjordanie, plusieurs cafés portent désormais les noms des deux tourtereaux, qui, dans la version originale, s'appellent Gümüs et Mehmet. «Je vends plus de 500 photos des héros de Nour par jour, et surtout celle de Mohannad. Les filles en raffolent», assure Hussein, près de l'Université de Damas. Une agence de voyages à Nazareth a même profité de l'aubaine pour promouvoir ses voyages organisés en Turquie. Elle inclut dans son programme une visite au magnifique yali (résidence au bord du Bosphore) où se déroule l'action. Dans les restaurants et les cafés à Beyrouth, c'est bien «Nour» qui apparaît sur les écrans plutôt que les JO de Pékin. «Ce genre de feuilleton reflète une dualité entre modernité et tradition que les Arabes vivent mais n'assument pas, affirme Melhem Chaoul, sociologue libanais spécialiste des médias. Il nous soulage en quelque sorte de cette angoisse». «Des femmes qui travaillent mais sont opprimées par leurs maris ou des hommes machistes forcés d'accepter l'égalité avec la femme s'identifient à ces personnages», ajoute-t-il. Pour Souheir Farraj, réalisatrice palestinienne, «Nour montre de jeunes musulmans libéraux, et les téléspectateurs d'ici semblent aspirer, eux aussi, à cette réalité».