Résumé de la 6 partie n La sorcière s'apprête à donner au Français des informations capitales sur le crime, mais elle l'avertit qu'après, elle redeviendra muette... A près un instant de silence, elle se mit à parler, avec une facilité sur-prenante, sans se reprendre, comme lisant dans le livre ouvert de ses souvenirs, laissant errer ses yeux qui regardaient en haut, éperdus. — Je suis née dans le village d'Iril-Azereg, mais je l'ai quitté très jeune en compagnie de mon père et de ma mère, femme kabyle des Aït Aïdel, tribu renommée par la beauté de ses filles. Mon père était forgeron et s'établit dans un petit village des environs de Bougie il gagnait bien sa vie, étant adroit et laborieux, mais ma mère mourut bientôt, enlevée par les fièvres et mon père, un an après, fut tué d'un coup de couteau dans une rixe, pendant qu'il séparait les combattants. «On l'amena tout sanglant dans notre gourbi et je passai la nuit près de son cadavre à me lamenter. «Dès le lendemain, il vint au village un commandant déjà vieux, avec une figure rouge et tannée par le soleil, les yeux brillants et durs. «Je comparus tremblante devant lui il me demanda d'où j'étais, comment je m'appelais, ce que nous faisions en dehors de notre tribu, pourquoi mon père était venu se fixer au village. «Il me semblait qu'il me regardait comme s'il eût voulu me dévorer : je ne pouvais répondre je ne savais rien, du reste, j'avais dix ans à peine et bien que nubile déjà, mon père n'avait pas voulu me marier, me trouvant trop jeune et trop simple. Ne pouvant rien tirer de moi que des pleurs, le Français me fit remettre au Khodja du village. «Dans la nuit, un spahi frappa à la porte de la maison où nous couchions avec les femmes du marabout. Il exhi-ba un ordre du commandant qui pres-crivait de me remettre au porteur de la lettre, chargé de me conduire à Iril-Azereg, où je pouvais avoir encore quelques parents. «Je quittai, mourante de peur, le vil-lage où s'était passée mon enfance, et mon guide, m'ayant fait monter sur un mulet, me fit marcher toute la nuit. A l'aurore, il fit ouvrir une mai-son où je fus reçue et soignée toute la journée, que je passai à sommeiller ou à pleurer. «Dès le coucher du soleil, le spahi me fit reprendre le voyage et, vers le milieu de la nuit, nous entrâmes dans une ville française avec de grandes et hautes maisons bordant les rues c'était Bougie. «Chemin faisant, le spahi m'avait appris que le commandant que j'avais vu, m'avait trouvée belle et qu'il ferait de moi sa femme si je le voulais, que j'étais bien heureuse d'avoir ainsi atti-ré les regards de cet homme puissant et riche, qu'il remplacerait pour moi les parents qui me manquaient, qu'il me fournirait même le superflu et m'entourerait d'un luxe dont je n'avais pas idée. Il me fit un tableau séduisant du bonheur qui m'atten-dait. J'étais ignorante du monde, mais peu disposée déjà à accepter la vie de souffrance et de travail des femmes kabyles, je n'avais enfin per-sonne pour me soutenir et me conseiller. Que sommes-nous du reste, nous, femmes musulmanes, sinon des jouets dans la main des hommes ? La douleur est courte chez les enfants : j'acceptai avec un enthousiasme irréfléchi la proposi-tion du spahi. «Il m'amena dans une petite maison, près des murs d'enceinte, au sommet de la ville. (à suivre...)