Résumé de la 1re partie n Le bruit des tambours et le son des clarinettes semblent, a priori, barbares, puis on apprend à les apprécier... Avec elle, la foule des tribus maigres de l'Arabie se rua à la conquête de la terre promise, ne comptant point les jours de feu sans eau, les nuits glacées, les combats quotidiens, les monceaux de cadavres, répétant seulement le même cri, qui sonnait aussi, s'envolant joyeux et fier du pavillon de bois des clarinettes : «Dieu seul est Dieu et Mohamed est son prophète !» Puis le tambourin marqua des coups sourds comme le pas des coursiers frappant la terre. C'étaient les haletantes chevauchées de Sidi Okba et de Tarik : les remparts des villes croulent, les idoles se brisent, la croix se renverse, le croissant monte radieux ! – Avec le trémolo des clarinettes, partant maintenant du fond d'un ravin creux, j'entendis le gémissement des femmes, le cri des hommes qu'on égorge, les pleurs des enfants. Et toujours le peuple en exode tourbillonnait, rasant la terre qu'il laissait derrière lui chauve et rouge de sang, puis s'enlevant d'un dernier vol, plongeait ses cavales dans l'Océan, étonné qu'Allah lui-même mît une borne à ses conquêtes. D'un seul remous, le flot des guerriers en turban, grossi des Berbères convertis, franchit le détroit et fit de l'Espagne ce qu'il avait fait de l'Afrique. Les Pyrénées géants ne l'arrêtèrent point, il déborda sur l'Aquitaine, s'étendit jusqu'aux plaines de Poitiers. Mais là, il frappa un mur d'hommes roux venus du Nord, bardés de fer sur des chevaux géants, dressés comme un écueil inébranlable : la race franque, pour la première fois, avait pris contact avec les guerriers de l'Islam et les dispersa. Dans les nuages qui volaient en rasant l'horizon devenu gris, je vis la fuite des ardents chevaux du Maghreb, les burnous blancs qui flottaient, courbés sur les encolures ; j'entendis, avec le chant des clarinettes, le cliquetis des éperons, les cris des blessés, le hennissement des chevaux, le grincement des fers qui se heurtent. Ainsi que la masse d'armes de Charles Martel, les coups du tambour paraissaient sonner sur des crânes, les tambourins bruissaient comme la grêle des fléaux d'armes frappant sur les cottes de mailles, au-dedans desquelles les os se brisaient, semblables à des olives pressées dans un scourtin d'alfa. La musique se tut brusquement et je ne perçus plus que la voix grave de la Soummam resserrée dans les gorges d'Il Naten, sourde comme le bruit de l'écroulement de tout un peuple en fuite. Le cortège arriva au village et pénétra sous la voûte sombre des ghorfa : les enfants qui accompagnaient la mariée portant les présents de l'époux et la dot, entonnèrent leurs chants ; les grands plats de bois pleins de couscous blanc surmontés de viandes bouillies circulèrent et, leur faim apaisée, les musiciens reprirent leurs accords : c'était le chant nuptial, les femmes descendirent dans l'espace laissé libre devant la maison de l'époux et mimèrent le mystère qui allait s'accomplir. (à suivre...)