Mentalité n Dans notre pays, tout se passe comme si le temps était un écueil, un obstacle majeur. Alors pour faire vite et parer au plus pressé, on le détourne et on le saute. C'est là, sans doute, notre plus grande erreur. Et ce temps précisément nous le facture très cher. C'est peut-être au niveau des transports que le phénomène est flagrant et pose, par ricochet, d'énormes problèmes. Prenons comme exemple assez courant un fonctionnaire qui habite l'Algérie profonde. Pour des raisons de santé et pour enlever les quelques doutes qui lui trottent dans la tête, il décide de demander une permission d'absence d'une journée à son administration pour aller consulter à Alger ou Oran un spécialiste de renom. Le rendez-vous est fixé au jour «J» à 11h. Le car qui assure la liaison quotidienne entre son village et la grande métropole démarre le matin à 8h et arrive à destination à 11h. Juste le temps de héler un taxi et de sonner à la porte du médecin. Pour quelques minutes de retard, le praticien en principe n'en fait pas un plat. Le car généralement ne démarre pas à l'heure. Le receveur attend de faire le plein des places, tourne en rond et fait mine de s'activer pour tromper la vigilance. Et comme l'horloge tourne, le chauffeur pour se donner une contenance met le moteur en marche. Les passagers pensent qu'ils vont incessamment partir. Quelques-uns profitent pour caler leurs bagages. Il est 8h30 et les gens s'impatientent. Une voix au fond du bus s'inquiète et demande presque en s'excusant ce qui se passe et pourquoi est-ce que l'on ne prend pas la route. Elle n'aura aucune réponse. Il est 8h45. Le bus s'arrache au quai de la gare et commence enfin à pétarader. Au bout de 100 km de bitume et après une heure trente de parcours, le chauffeur décide de faire une halte dans la première ville du trajet et gare près d'un café où d'autres bus sont stationnés. Les passagers, ou du moins ceux qui le désirent, sont invités alors à descendre se dégourdir les jambes et à siroter quelque chose de chaud. Cette halte programmée sur la ligne et initialement prévue pour 10 minutes en prendra cinq de plus. Le car reprend la route, et au bout de quarante kilomètres, ralentit et serre à droite sur le bas côté et s'immobilise. Le chauffeur descend, ouvre la malle, farfouille dans ses outils pendant que le receveur fait carrément ses courses auprès des paysans qui alignent le long de la route leurs productions. Des passagers en profitent pour faire de même. Voilà encore dix bonnes minutes perdues sur l'horaire officiel. Et lorsque enfin le terminus est en vue, il n'est pas 11 heures, mais midi passé. Le praticien évidemment a fermé son cabinet pour aller déjeuner. Il faudra revenir l'après-midi à 15 heures si l'assistante veut bien reporter le rendez-vous. Et à supposer que le rendez-vous change d'horaire, ce qui n'est pas sûr, le fonctionnaire devra faire des pieds et des mains pour rentrer chez lui en taxi clandestin ou par tout autre moyen quand il ne sera pas obligé de passer la nuit avec tous les frais que cela suppose et donc de s'absenter le lendemain de son poste. Quant à nos avions, ils ont depuis longtemps battu tous les records du Guiness en matière de retard. Des hommes d'affaires ont perdu d'importants rendez-vous en Algérie comme en France parce qu'une compagnie, 50 ans après l'indépendance, n'arrive pas à maîtriser ses horaires de départ et d'arrivée. Des passagers ont passé 7 heures à l'aéroport avant d'embarquer. Voyager par les airs est devenu aujourd'hui une véritable aventure à tel point que les trains, jadis délaissés, font le plein de jour en jour. C'est moins rapide, c'est moins confortable, mais on est sûr d'arriver à l'heure. A quelques minutes près.