La Basse-Californie est cette presqu'île qui prolonge la Californie tout court. La nature et le climat y sont exactement les mêmes ; la seule différence est qu'elle appartient au Mexique au lieu d'être américaine et qu'elle est aussi pauvre que l'autre est riche. Et c'est là, dans le petit port de San Felipe, que commence notre histoire, par une chaude journée de juin 1959. Ils sont cinq, cinq enfants : Franco, cinq ans, Cecilia, quatre ans, Yolanda, trois ans, Emilio, deux ans, et Juan, dix mois, que leurs parents ont laissés seuls dans leur appartement, au premier étage d'une vieille maison. Ils font cela tous les jours parce qu'ils n'ont pas le choix. Ils travaillent tous les deux et ils ne peuvent les emmener. Alors ils demandent à la voisine du rez-de-chaussée de les surveiller. Seulement voilà, la femme a voulu faire griller des épis de maïs, elle s'est absentée un instant et le feu a pris instantanément. La maison est en partie en bois. L'escalier s'est tout entier embrasé et, au premier étage, les cinq enfants se sont mis à hurler. Dans la rue, on accourt. Les flammes sont trop violentes pour qu'on puisse approcher. Les pompiers ont été prévenus, mais il est évident qu'ils n'arriveront pas à temps. Trois hommes se promènent non loin de là, dans les rues de San Felipe. Larry, Mike et Charlie sont arrivés la veille dans le port, à bord d'un bateau équipé pour la pêche au gros, battant pavillon panaméen, à la silhouette agressive et aux moteurs énormes. De riches Américains venus tout droit de l'autre Californie, c'est un spectacle courant à San Felipe. Larry, Mike et Charlie ont débarqué avec leurs chemises hawaïennes, leurs chapeaux de paille, leurs lunettes de soleil. Ils ont montré aux autorités du port leurs passeports frappés du sceau des Etats-Unis et, depuis, ils se promènent, leurs traveller's cheques et leurs billets de 100 dollars plein les poches. Ils font des achats, tandis qu'on s'occupe du plein et du ravitaillement de leur navire. Ils passent quelques heures à terre avant de reprendre la mer. En réalité, Larry, Mike et Charlie n'ont de commun avec les milliardaires que la richesse. Car, s'ils ont effectivement beaucoup d'argent, ils l'ont acquis d'une manière bien peu recommandable. Ils appartiennent tous trois à un gang faisant le trafic de l'héroïne. Jusqu'à présent, tout allait bien pour eux, mais ils ont été vus, aux environs de Los Angeles, en train de mitrailler deux hommes d'une bande rivale, pendant que ceux-ci réparaient un pneu crevé. Il n'y avait pas à hésiter. Le FBI allait se mettre à leurs trousses, sans compter ceux de la bande adverse, qui représentaient un danger tout aussi grand. Larry, le chef, leur a dit qu'ils partaient immédiatement. Ils avaient de faux passeports en cas de besoin et un bateau puissant pour quitter les Etats-Unis. Leur projet était de se rendre à Panama. Là, ils disposaient de contacts et ils parviendraient à se mettre à l'abri, le temps de se faire oublier. Seulement, il n'y avait pas assez de fuel pour aller jusqu'à Panama, d'où cette escale à San Felipe. Ils auraient pu repartir immédiatement après avoir fait le plein, mais Larry leur a imposé de rester quelque temps. Ils ne devaient pas avoir l'air pressés. Un milliardaire en vacances, cela prend son temps. Voilà pourquoi ils flânent dans la petite ville de Basse-Californie, l'air décontracté, alors qu'ils n'ont qu'une hâte : partir au plus vite. Ils avancent sans se presser, feignant de s'intéresser aux étals des marchands, lorsqu'ils entendent des cris un peu plus loin. Larry, toujours sur ses gardes, demande aux deux autres : — Qu'est-ce qui se passe ? Je n'aime pas cela ! (à suivre...)