De notre correspondant à Annaba Mohamed Rahmani Jamais l'humanité, même pendant ses heures les plus sombres, n'a connu une telle barbarie : un Etat surarmé et hors-la-loi tue et assassine en direct tout un peuple avec la bénédiction des puissants de l'heure, une machine de guerre sophistiquée, destructrice et dévastatrice contre 1,5 million de personnes «parquées» dans un espace grand comme un mouchoir de poche. Un ethnocide et un génocide exécutés par d'autres «humains» que la dégénérescence a ravalés au rang de l'animal sauvage. L'on croyait ces temps révolus et l'homme, affranchi de ses instincts primitifs, parce qu'ayant vécu à travers les âges les pires atrocités, ne commettrait plus les mêmes erreurs. La «civilisation» a supplanté la sauvagerie et l'aspiration à la paix a banni à jamais toutes velléités belliqueuses mais ceci n'est dans la réalité qu'une vue de l'esprit. L'on se demande alors si l'humanité mérite encore son titre d'héritière de la Terre. La bête immonde est de retour, le Moyen-Age et ses horreurs, les croisades et ses terreurs ont ressurgi et se sont installés au 3e millénaire, un «anachronisme» qui n'en est plus un. L'homme de la rue, le citoyen de base, le «menu peuple», le faible et l'opprimé, meurtris et touchés dans leur chair, crient leur refus et leur colère. Ils sont des milliers, des millions à manifester, à exiger l'arrêt immédiat de cette tuerie à l'échelle de tout un peuple. Cela n'a pourtant pas été entendu et Israël continue son «œuvre» génocidaire contre des Palestiniens dont le seul tort est de trop aimer leur liberté. Devant cette déraison et la folie de tout un Etat, la communauté internationale n'a fait que «condamner» et «dénoncer» du bout des lèvres ces actes sans pour autant intervenir pour arrêter le massacre. Dans toutes les villes et villages d'Algérie, dans les douars et mechtas les plus reculés, le peuple a, à maintes reprises, exprimé sa colère, a manifesté, a exigé de ses gouvernants d'intervenir pour aider ce peuple qu'on assassine chaque jour. Les artistes, encore plus sensibles que le commun des hommes, perçoivent cette barbarie au plus profond de leur être. Ils la vivent tous les jours, ils en souffrent et l'expriment à travers des œuvres qui naissent dans leur cœur et qui éclosent pour redonner l'espoir et susciter l'espérance. A Annaba, la section locale de l'Union nationale des écrivains algériens a été la première à monter au créneau en organisant une soirée poétique qui a regroupé des hommes de lettres et de culture, des étudiants, des professeurs et des chercheurs au Théâtre régional «Azzeddine Medjoubi». Mustapha Hamdane, un poète palestinien, a, en cette occasion, présenté son poème Ghaza, El Îzza (Ghaza, la dignité), dans lequel il a dénoncé l'agression israélienne contre Ghaza avec des mots simples, des mots où chaque syllabe articulée expose une profonde douleur et une souffrance infinie, des strophes dont les vocables d'une consonance toute arabe fusionnent pour rappeler l'unité nécessaire du monde arabe et des musulmans, une unité morcelée «même à l'intérieur de l'unité territoriale», lance-t-il. Les mots se pressent dans sa bouche comme si chaque expression voulait être la première à sillonner les airs pour aller se «loger» dans les oreilles de cet auditoire composé de lettrés qui apprécient chaque son tout en se délectant des sens cachés ou apparents de ces entités sémantiques. Les poètes locaux qui se sont succédé sur les planches de ce théâtre, qui a vibré pendant des heures au son de ces voix pleines d'espoir, ont apporté pour chacun la pierre à l'édifice littéraire. Le bruit assourdissant des explosions, le staccato des mitrailleuses et les éclats des bombes au phosphore ne pourront jamais faire taire ni couvrir le son des voix qui transportent ces mots synonymes de civilisation et d'humanité. Des mots qui restent le seul îlot de bon sens dans un monde que l'horreur et la barbarie ont conquis. Lotfi Double Kanon, qui a depuis longtemps épousé la cause palestinienne et qui lui avait consacré des clips, ne trouve plus les mots pour qualifier cette folie de l'Etat sioniste. Il se dit prêt à tout pour «aider mes frères là-bas, chez moi à Ghaza. Mes frères sont assassinés chaque jour et tout le monde voit cette tuerie en direct. C'est une honte». Très ému, l'artiste ne put réprimer des larmes qui perlaient à ses yeux mais se reprit très vite pour dire que la situation devient intenable et qu'il faut au plus vite faire quelque chose ; chacun peut entreprendre une action quelconque pour alléger les souffrances de ce peuple. De son côté, il est en train de réaliser une action qu'il ne veut pas rendre publique parce qu'il veut garder l'anonymat et éviter que cela soit mal interprété. Universitaires, avocats, journalistes et hommes de lettres de la région sont très inquiets du devenir de leurs frères à Ghaza. «Ce monde est devenu fou, nous dit un avocat. Comment peut-on laisser un Etat hors-la-loi faire ce qu'il veut malgré l'appel lancé par le Conseil de sécurité de l'ONU ? Où est le droit international ? Où sont passés les droits de l'Homme ? Je suis ulcéré par ce silence complice ! » «Ce n'est pas Israël qui est fort, dit un professeur, c'est nous qui sommes faibles parce que nous n'avons pas su tirer les leçons du passé. Aussi longtemps que nous agissons juste par la tournure et la magie des mots, on tournera et on transformera nos défaites en victoires ; on ne sortira pas de notre sous-développement.» Un confrère, choqué par ce qui est diffusé par certains médias occidentaux, dira qu'il est déçu parce qu'il croit en la liberté d'informer «qui, normalement, devrait caractériser ces moyens d'information. L'objectivité dans les informations traitant de cette agression a été mise en veilleuse, confie-t-il. La victime a été assimilée à l'agresseur. On montre les images d'Israéliens terrorisés par les roquettes ‘'inoffensives'‘ qui tombent dans des lieux inhabités, des pleurs, des gens qui courent dans tous les sens pour aller s'abriter. On aurait dit que le ciel allait leur tomber dessus. En fait, côté palestinien, le ciel leur est vraiment tombé dessus et on passe ces images à la va-vite comme si l'on voulait épargner au téléspectateur les horreurs commises par le peuple de ''l'holocauste‘'. Ces derniers temps, le journal télévisé ne s'ouvre même plus sur les tueries de Ghaza. Gazprom a pris le dessus ; c'est plus important. On peut mourir de froid, et on pense déjà à diversifier les approvisionnements de l'Europe en gaz. Le gaz, ce n'est pas Ghaza ; il ne faut pas l'oublier, les Européens sont menacés par.... le froid. L'horreur a été banalisée ; c'est devenu quotidien ; on n'en parle plus.»