La Turquie du président Recep Tayyip Erdogan se voyait comme un facteur de stabilité dans la région. Aujourd'hui, elle est en pleine crise diplomatique avec la Russie sur la question syrienne. Mais pas seulement, en froid avec l'Irak et avec l'Iran, qui l'accuse également de profiter du pétrole du groupe Daech, Ankara se retrouve dans une situation embarrassante. La Russie et la Turquie sont passées à des accusations directes après des sanctions économiques.?Moscou a mis en cause le Président turc, assurant que sa famille est mêlée au trafic de pétrole de Daech. Scandalisée, la Turquie rejette ces accusations, estimant qu'elles sont «immorales». Depuis l'incident de l'avion, la relation est exacerbée entre les deux pays. Après avoir convoqué l'ambassadeur russe, Ankara a demandé une réunion des pays de l'Otan pour les informer. Après l'incident, Ankara ne s'est pas adressée à la Russie, mais s'est tournée d'abord vers l'Otan, espérant ainsi obtenir le soutien des pays de l'alliance. Cet appel à l'Organisation n'a pas plu à Vladimir Poutine. Il a déploré que la Turquie préfère se réunir avec ses alliés, plutôt que de parler directement du problème avec Moscou. Les déclarations de Poutine ont été très dures : «un coup de poignard dans le dos» qui aura «des conséquences sérieuses sur les relations russo-turques»... «Nous ne tolérerons jamais que des crimes comme celui d'aujourd'hui soient commis». Poutine a averti la Turquie des «conséquences sérieuses» sur leurs relations. «Il semble qu'Allah ait décidé de punir la clique au pouvoir en Turquie, en la privant de la raison et du bon sens», a-t-il ironisé. Le ton de Moscou est à la mesure de l'incident de l'avion acte ressentit comme un affront par la puissance militaire russe. Moscou et Ankara entretenaient pourtant de longue date des relations économiques étroites, notamment en matière d'énergie. Plus de 3,5 millions de touristes russes partent chaque année en vacances de l'autre côté de la mer Noire. Moscou pourrait décider de suspendre les vols commerciaux vers la Turquie. Tout comme il l'a fait avec l'Egypte où les risques d'attentats se sont accrus. Les positions d'Ankara et de Moscou restent diamétralement opposées sur un dossier brulant : la crise syrienne. C'est que les Turcs ne voudraient pas d'une force fouinant dans ses zones d'influence sur la frontière syro-turque, mais aussi turquo-iranienne. L'intervention russe aux portes de la Turquie contrevient aux intérêts de cette dernière. Ankara et ses alliés, les pays du Golfe et l'Arabie saoudite, veulent la chute du régime et soutiennent financièrement et en armes le Front Al-Nosra, ainsi que d'autres groupes de l'opposition qui opèrent dans cette zone. Ce n'est pas ce que veux Moscou pour qui il n'y a pas «de bonne et de mauvaise opposition». La zone reste sensible pour Ankara. Les milices turkmènes sont entraînées par les Forces spéciales turques depuis le début de l'année. Le programme de formation est mené conjointement avec les Américains. «Les Turkmènes sont utilisés par Erdogan, comme un outil d'influence et aussi une raison pour lui de justifier d'intervenir en Syrie», estiment certains spécialistes. À Moscou, on se demande s'il n'y a pas eu une volonté délibérée de la Turquie de créer cet incident, car Ankara pourrait avoir beaucoup à perdre en cas d'un rapprochement entre les Etats-Unis et la Russie dans une coalition en Syrie. L'offensive russe contrecarre le projet turc d'une zone tampon de 70 km sur 110 km de large, au nord de la Syrie le long de sa frontière. Le Kurdistan, point de hantise Une proposition qui semble ne pas trouver d'intérêt. Washington reste pour le moins sceptique : Barack Obama lors du G20 à Antalya l'exprimera en interrogation?: «Une zone de sécurité demande des opérations au sol. Comment est-ce que cela fonctionnera?? Est-ce que cette zone ne risquera pas d'attirer de nouvelles attaques terroristes?? Combien faudra-t-il de soldats pour la tenir et comment cela se terminera-t-il??» De quoi compliquer la situation pour Ankara qui se trouve confrontée à la rogne de l'ourse russe. Les sanctions imposées par Moscou pourraient priver la Turquie de plus de trois millions de touristes par an, la destination étant l'une des plus prisées de la classe moyenne russe. La Russie a décidé de renforcer ses contrôles sur les importations de produits agricoles turcs et a révoqué unilatéralement le régime de libre-circulation pour les visiteurs turcs en Russie. Des informations de presse font déjà état de passagers turcs bloqués à la frontière et refoulés car n'ayant pas de visa. Mais les sanctions vont surtout concerner les importations. Le ministère russe de l'Agriculture a exigé un renforcement des contrôles sur les produits agricoles importés de Turquie pour cause de «violations répétées des normes» sanitaires. Enfin, ces sanctions vont très certainement affecter de grands projets d'infrastructure. C'est en effet la Russie qui construit la première centrale nucléaire turque à Akkuyu, au sud du pays. La Russie a opté pour la Turquie pour faire transiter des exportations gazières vers le sud de l'Europe, après l'arrêt du projet «South Stream», qui devait passer par la Bulgarie. Ce projet de gazoduc vers la Turquie est cependant bloqué depuis plusieurs mois, du fait des divergences entre les deux pays. La crise dans la crise entre les deux pays voisins risque d'avoir des conséquences fâcheuses dans une région qui sent la poudre. Le bras de fer entre Moscou et Ankara est d'autant plus périlleux que se trouve à la tête de ces deux pays des Présidents au caractère trempé et au style ressemblant. M. B.