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Les banques centrales dans l'impasse
Publié dans La Tribune le 29 - 09 - 2016

Le dernier jour d'été a marqué le début d'une nouvelle saison de décisions aberrantes de la part de deux grandes banques centrales, celles des USA et du Japon : la Fed (Réserve fédérale américaine) et la BoJ (Banque du Japon). La Fed n'a rien fait, ce qui est précisément le problème. Quant aux alchimistes de la BoJ, ils ont dévoilé un nouveau stratagème des plus médiocres constitué de mesures non orthodoxes inefficaces.
La Fed et la BoJ poursuivent une stratégie totalement déconnectée des économies dont elles ont la responsabilité. Leurs dernières décisions renforcent un mécanisme de transmission insidieux entre politique monétaire, marchés financiers et économies dépendantes des actifs financiers. Cette stratégie a conduit à la crise de 2008-2009 et elle pourrait bien semer les grains d'une prochaine crise.
Le débat sur l'efficacité des nouveaux outils puissants que les banques centrales ont ajoutés à leur arsenal a fait perdre de vue la dure réalité : la croissance reste anémique. Le Japon en est un exemple évident. Prisonnière d'une croissance de l'ordre de 1% depuis 25 ans, son économie n'a pas réagi aux différentes mesures de stimulation monétaire, même les plus extrêmes.
Que ce soient les taux d'intérêt zéro à la fin des années 1990, le relâchement monétaire qualitatif et quantitatif à l'initiative du gouverneur de la BoJ, Haruhiko Kuroda, en 2013 et depuis peu les taux d'intérêt négatifs, la BoJ a fait beaucoup de promesses qu'elle n'a pas tenues. Depuis l'élection de Shinzo Abe au poste de Premier ministre fin 2012, le taux de croissance du PIB réel a dégringolé à 0,6% (un tiers plus bas que le médiocre taux de croissance de 0,9% en moyenne lors des 22 années perdues entre 1991 et 2012). Aussi sa politique de stimulation économique (l'abénomics) constitue-t-elle un terrible échec.
La Fed n'a pas fait beaucoup mieux. Depuis la fin de la Grande récession (au 3e trimestre 2009), le taux de croissance du PIB des USA est en moyenne de seulement 2,1% - tout juste la moitié de sa valeur moyenne de 4% avant la crise.
De même que pour le Japon, l'économie américaine en redémarrage incertain n'a que peu réagi aux mesures agressives de stimulation non orthodoxes, qu'il s'agisse des taux d'intérêt zéro, de trois phases de relâchement monétaire ou d'une «opération Twist» (vente d'obligations à court terme pour acheter des obligations à long terme, ce qui aplatit la courbe des taux). Cette dernière paraît à l'origine de la dernière décision de la BoJ (elle vient d'annoncer qu'elle vise des taux d'intérêt nuls pour ses bons du Trésor à 10 ans).
Malgré l'insuffisance persistante de la croissance, les banques centrales restent persuadées que leur stratégie est bonne, car leurs résultats sont conformes au mandat qui leur a été assigné. La Fed souligne ainsi la forte baisse du taux de chômage aux USA (de 10% en octobre 2009 à 4,9% aujourd'hui) comme preuve que l'économie se rapproche de l'un des objectifs de son double mandat.
Mais si on considère également la faiblesse de la production, une toute autre image se dessine. Elle révèle une forte baisse de la productivité qui soulève de sérieuses questions sur le potentiel de croissance à long terme des USA et au bout du compte sur le risque d'une hausse des coûts et de l'apparition de pressions inflationnistes. On ne peut reprocher à la Fed d'avoir essayé disent les amateurs de rétro-prospective qui soulignent qu'il n'y aura eu que des politiques monétaires non orthodoxes entre la Grande récession et une nouvelle Grande dépression. Mais c'est davantage une affirmation qu'une conclusion vérifiable.
Tant aux USA qu'au Japon, si les mesures adoptées n'ont guère eu d'effet sur l'économie réelle, il n'en est pas de même sur les marchés des actifs. Ainsi le cours des actions et des obligations est monté du fait d'une politique monétaire qui a poussé les taux d'intérêt à des niveaux historiquement bas et de l'injection massive de liquidités.
La nouvelle politique monétaire non orthodoxe des deux pays ne prend manifestement pas en compte la déconnexion entre les marchés des actifs financiers et l'économie réelle. Cela tient aux terribles récessions des bilans. Dopée artificiellement par les bulles du prix des actifs, la demande agrégée s'est écroulée quand ces bulles ont éclaté. Cela a débouché sur le surendettement chronique des consommateurs aux USA et des entreprises au Japon - les uns et les autres étant dépendants du prix des actifs. Dans ce contexte, le manque de réaction aux taux d'intérêt nuls n'est guère surprenant. Cela rappelle le piège à liquidité des années 1930, lorsque les banques centrales n'ont rien pu faire pour redresser la situation.
Il est déconcertant que les banques centrales restent très largement dans le déni de cette réalité. Ainsi que le montrent les récentes mesures prises par la BoJ, le penchant pour l'ingénierie financière est intact. Quant à la Fed, elle persiste à remettre à demain la normalisation des taux d'intérêt. Ayant épuisé depuis longtemps leur arsenal traditionnel, les banques centrales continuent à faire preuve de myopie en se concentrant sur la conception de nouveaux outils, plutôt que d'admettre le rôle contre-productif de leurs anciens outils dans le déclenchement de la crise.
Les marchés financiers adorent l'assouplissement monétaire sous toutes ses formes, mais il ne faut pas s'y tromper, il a son coté noir. Le prix des actifs est très largement manipulé - qu'il s'agisse des actions, des obligations, des actifs fixes ou circulants ou des devises. Cela fait que les épargnants sont punis, le coût du capital contenu et les prises de risques inconsidérées encouragées dans un contexte où les revenus ne progressent guère. C'est là un terrain miné pour des pays qui ont besoin urgent d'investissement pour stimuler la productivité. Cet environnement rappelle les excès en matière d'actifs financiers qui ont entraîné la crise financière mondiale de 2008-2009.
Par ailleurs, des marchés des actifs en effervescence dans une période d'assouplissement monétaire extrême soulagent les autorités budgétaires de la pression d'agir. Ne pas tenir compte de l'une des leçons majeures (oui, c'est une leçon keynésienne) des années 1930 - à savoir que la politique budgétaire est le seul outil pour échapper au piège des liquidités - pourrait se transformer en tragédie. Les dirigeants des banques centrales veulent désespérément persuader l'opinion publique qu'ils savent ce qu'ils font. Rien n'est plus éloigné de la réalité.
S. S. R.
(Traduit de l'anglais par Patrice Horovitz)
*Chercheur principal à l'Institut Jackson des affaires internationales de l'Université de Yale et maître de conférences à l'école de gestion de Yale. Ancien président de Morgan Stanley Asie et économiste en chef de l'entreprise.
In project-syndicate.org


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