Avant de se retrouver dans une pharmacie, un médicament passe par un long et complexe processus, de la découverte de la molécule à l'Autorisation de mise sur le marché (AMM). Ce parcours, qui inclut différentes phases techniques et étapes administratives, peut durer une dizaine d'années, avec un coût élevé. Selon Les Entreprises du médicament (Leem), qui réunit les opérateurs du domaine pharmaceutique opérant en France, la mise au point d'une nouvelle molécule représente un investissement d'environ 800 millions d'euros (retenir bien ce chiffre). Au départ, la R&D (Recherche et développement) entre en action. D'abord, la recherche fondamentale tente d'identifier et de comprendre les mécanismes d'une maladie en vue de déterminer la cible du futur médicament, généralement un récepteur ou une enzyme dont on veut augmenter ou supprimer l'activité, qu'on devrait élaborer. Les chercheurs prendront le relais et testeront des dizaines de milliers de molécules grâce à des «robots de criblage», avant d'en retenir une centaine éventuellement efficaces. Ces molécules qui pourraient potentiellement se révéler efficaces contre la pathologie, feront l'objet d'un dépôt de brevet protégeant la découverte pendant 20 ans, et 5 ans de plus si un certificat complémentaire de protection est accordé à l'expiration du délai initial, avant qu'elle ne retombe dans le domaine publique et ne devienne «généricable». Cette phase bouclée, on passe aux études précliniques. Les molécules identifiées seront testées de différentes manières, avant tout essai sur l'homme. Cette phase est composée de trois étapes. En premier, il y a la pharmacologie expérimentale qui consiste en des essais d'efficacité sur des systèmes moléculaires inertes, des cellules et des cultures, et, enfin, sur l'animal. A l'issue de cette phase, le nouveau produit est identifié et est soumis aux études toxicologiques qui évaluent les risques d'effets secondaires des futurs médicaments. Viennent enfin les tests et études sur les propriétés pharmaceutiques de la molécule telles que l'absorption, le métabolisme, la distribution, l'élimination. C'est la pharmacocinétique du médicament qui permet aussi de prouver ses propriétés pharmacologiques. Les résultats de cette première étape sont généralement rendus publics à travers des communications ou des publications dans des revues scientifiques spécialisées. Ce n'est qu'après tous ces tests et essais qu'on arrive aux études cliniques qui déterminent l'efficience de la molécule sur l'homme. Seul un médicament sur 15 candidats atteint ce stade. Ces études se font en trois phases principales, qui doivent se dérouler en milieu clinique, selon les bonnes pratiques. Elles sont réalisées en milieu hospitalier ou en cabinet médical, sous la responsabilité de médecins experts qu'on appelle les investigateurs. La première phase étudie la tolérance ou l'innocuité du médicament. Des quantités croissantes de la nouvelle molécule sont administrées à des volontaires sains, sous surveillance médicale étroite. Cette phase permet d'évaluer les grandes lignes du profil de tolérance du produit et de son activité pharmacologique. Dans la deuxième phase, on doit démontrer l'efficacité thérapeutique du produit sur de petites populations et établir la dose à prescrire. Les essais sont menés sur un petit nombre de malades hospitalisés, avec l'objectif de définir la dose optimale, c'est-à-dire avec laquelle l'effet thérapeutique est le meilleur pour le moins d'effets secondaires. La troisième et dernière étape se déroule dans les conditions aussi proches que possibles des conditions habituelles d'utilisation des traitements, l'efficacité et la sécurité sont étudiées de façon comparative au traitement de référence ou à un placebo. C'est les études «pivots» qui portent sur un grand groupe de malades, plusieurs centaines, voire milliers de patients. Et ce n'est qu'une fois les essais cliniques concluants et l'efficacité de la molécule établie, que le médicament, princeps, sera éligible pour la mise sur le marché. Car, les résultats du processus technique auront beau être concluants et positifs, le médicament devra cependant passer par tout un parcours administratif qui peut durer des années, avant l'obtention du fameux sésame, l'AMM, pour sa commercialisation, en pharmacie. Mais la mise sur le marché ne signifie aucunement la fin des procédures. Le médicament sera en effet soumis à des règles rigoureuses de pharmacovigilance durant toute sa vie pour assurer la sécurité des patients. Tout incident ou accident de santé lié à la prise de ce médicament est signalé dans un délai obligatoire aux instances réglementaires. De plus, tant qu'il est commercialisé, les laboratoires doivent également remettre un rapport sur le suivi du médicament tous les 6 mois pendant les deux premières années de sa vie, puis tous les ans pendant les 3 années suivantes, et enfin, tous les 5 ans. Ce résumé du parcours par lequel une nouvelle molécule doit obligatoirement passer avant d'être reconnue comme médicament et arriver entre les mains du malade est largement diffusé sur le web, avec plus ou moins de détails, et tout le monde y a accès. Le ministre de la Santé, avant de recevoir le pseudo inventeur de ce produit dénommé «Rahmet Rabi» et mensongèrement présenté comme médicament sous le nom «scientifique» RHB, et lui accorder sa caution, aurait pu, après quelques clics - s'il ne connaît pas déjà le processus -, desceller les énormes failles qui prouvent qu'il avait affaire à un triste larron, sans compétences ni scrupules. Il en est de même pour les autres responsables qui ont laissé et laissent encore, faire. Sont tout aussi responsables et coupables ces chaînes de télévisions qui ont défendu becs et ongles ce charlatan, soutenant mordicus que c'était un génie qu'on veut tuer. Certaines iront jusqu'à brandir le patriotisme, clamant que si c'était un étranger qui avait «inventé» ce «médicament», on lui aurait déroulé le tapis rouge, et qu'on était en train d'écraser nos «génies». En fait, l'affaire du RHB a finalement joué le rôle de révélateur qui a montré l'ampleur de l'ignorance et du sous-développement au sein de notre société. Des malades ont interrompu leur traitement prescris par des médecins spécialistes, se fiant aux déclarations d'un charlatan relayées par des médias irresponsables, sans que l'administration ne se donne la peine de réagir en urgence pour mettre un terme à la grande mystification et expliquer par le détail le processus nécessaire pour qu'un produit obtienne l'AMM, en tant que médicament, même si c'est un générique, qu'il soit importé ou fabriqué localement. Les entreprises pharmaceutiques opérant en Algérie sont toutes soumises à ce processus de contrôle et d'analyse impliquant le producteur, le ministère de la Santé et le Laboratoire national de contrôle (LNC). L'épisode RHB n'est, en effet, que le sommet de l'iceberg. Des produits du même genre sont vendus sous différentes dénominations, dans des magasins qui, souvent, empruntent des termes religieux comme enseigne, un argument de vente dans une société où la foi du charbonnier a une emprise qu'aucun argumentaire scientifique ne peut annihiler, d'autant plus que les médecines alternatives, la phytopharmacie, les médecines douces… qui sont attaquées par les grands laboratoires pharmaceutiques pour le risque qu'elles font peser sur leurs intérêts, gagnent du terrain grâce à des scientifiques intègres. Et c'est cette voie encore mal jalonnée qu'empruntent les charlatans du même acabit que le fabricant de «Rahmet Rabi», ici et ailleurs. Les boutiques de pseudos herboristes poussent comme des champignons en Algérie. Selon le Centre national du Registre de commerce, ils étaient 2 689 herboristes en exercice 2013. A ces «pharmacies» s'ajoutent les «cabinets» de guérisseurs qui se multiplient à travers le territoire, exploitant le bouche-à-oreille, l'affichage anarchique et les réseaux sociaux pour se faire de la publicité gratuite. On a même droit à une Maison de la roqia (guérison par l'invocation du Coran) et la hidjama (saignée) ouverte à Relizane par Belahmar, un religieux qui se présente comme un cheikh guérisseur et exorciste. Pourtant, tous les véritables imams disent que la roqia peut être pratiquée en tout lieu et par toute personne, y compris pour soi-même, alors que la saignée, en tant qu'acte chirurgical, est interdite. Mais Belahmar a bonne presse. On a vu des «célébrités» louer ses compétences. Que les autorités locales aient décidé de fermer cette Maison de la roqia dès le lendemain de son ouverture et qu'on annonce qu'une jeune fille est morte suite à une saignée pratiquée par ce guérisseur, va-t-il changer la perception qu'a la société de ces personnages ? Certainement pas. Le ministère de la Santé, les associations, particulièrement celles médicales et religieuses (pour le cas des guérisseurs), les médias, tous les acteurs institutionnels et la société civile doivent reconnaître et assumer leur échec dans l'éveil des consciences et l'éducation des masses populaires (un malade qui interrompt le traitement prescrit par un médecin parce qu'on lui a dit qu'il y a un médicament-miracle est une preuve irréfutable d'ignorance). En retour, pour se racheter, ils doivent prendre leur responsabilité vis-à-vis de la société. Il ne suffit pas de construire des hôpitaux et de les équiper pour entrer dans l'ère de la santé moderne. Il ne suffit pas de faire des prêches et des discours pour élever le niveau de réflexion et de compréhension des gens. La modernité, le développement et le progrès sont d'abord une avancée de l'esprit, des mentalités… Mais quand un charlatan arrive à berner un ministre, des médias censés vérifier l'information et des centaines de citoyens, alors que les quelques voix de la raison (médecins, pharmaciens…) sont superbement ignorées, cela veut dire qu'on est encore loin, pour ne pas dire à côté, du développement. C'est tout juste si on n'a pas accusé ces hommes du savoir de jalouser «le génie» qui a inventé le médicament-miracle qu'une certaine presse a élevé au rang de nobélisable que les pouvoirs publics veulent casser… H. G.