On attendait le duel entre lui et l'Américain Tyson Gay dans l'épreuve reine du 100 m. On y a vu que du jaune. Dans ces Championnats du monde berlinois, il n'y avait pas seulement deux mondes parallèles. Le Jamaïcain a été tout simplement hors du temps. Usain Bolt pulvérise tour à tour les records du 100 puis du 200 m. Exploit phénoménal qui plus est, puisqu'il améliore ses propres records acquis sous le soleil olympique de Pékin en août 2008. Onze centièmes de mieux que l'ancien record dans les deux courses. Une limite qui posait déjà problème pour les biochimistes du muscle. «Lightning» Bolt confirme dans cet Olympiastadion de Berlin, chargé de symbole, qu'il est peut-être le plus grand sprinter de tous les temps. Parmi la constellation de champions, il était seul à passer de l'autre côté. Vers les limites inconnues. C'est que l'homme qui se prédestinait plutôt à une carrière dans le cricket brille par sa dissemblance. Particularité quasi unique chez Usain Bolt, son attitude désinvolte qui détonne avec les mines tendues et revêches d'avant-compétition chez les athlètes de haut niveau. Le gamin de Trelawny semble s'amuser à faire voler en éclats des performances inatteignables. Mais l'exploit hors normes du Jamaïcain suscite les interrogations et provoque les soupçons les plus divers dans le maelstrom de l'athlétisme mondial. De grands champions ont vu leur étoile pâlir après la découverte du pot aux roses, des EPO et autres stéroïdes anabolisants. La chute est souvent fatale. Et, comme dans beaucoup de sports, la performance de Bolt fait débat. D'autant que cinq athlètes jamaïcains ont été contrôlés positifs à un stimulant en juin dernier. On a jugé ses prouesses hors des capacités reconnues. Ce n'est pas possible, l'être humain ne peut pas aller au-delà, chuchotent les incrédules. Celui qui s'est joué de l'air garde le sourire. Il reste d'un calme pour le moins olympien face aux sceptiques. «Je peux juste répéter aux gens que je suis propre. Je cours, c'est ce que je fais. Je ne vois pas ce que je pourrais dire de plus. Je sais qu'il y aura toujours des rumeurs. Je ne me sens pas obligé de convaincre les gens ; tout ce que je peux faire, c'est répéter que je suis propre, que je travaille dur. Je suis tout le temps testé», répétera-t-il aux médias qui l'assaillent de questions. Pour les observateurs et autres spécialistes impassibles, une seule explication : des prédispositions naturelles exceptionnelles se sont regroupées dans un seul corps. C'est la première fois qu'un sprinter de son gabarit, 1 m 96 pour 86 kg, allie des qualités qu'on trouve habituellement chez les coureurs moins grands et plus musclés. Son rythme de course est scrupuleusement décortiqué, disséqué. Sa grande taille lui permettrait des foulées moyennes de 2,50 m, allant jusqu'à 2,70 m pour les plus grandes. De ce fait, il parcourt les 100 mètres de piste en seulement 40 ou 41 pas, contre 45 en moyenne sur cette distance. A 23 ans, Usain Bolt le déjà légendaire poursuivra son passage dans l'histoire du sport mondial tel un phénix. On dit de lui qu'il n'en est qu'à ses débuts. Qu'il n'a pas encore atteint ses limites. Qu'il est capable d'autres exploits. Titiller les 9'' 40/100es sur 100 m, absorber le 200 m en moins de 19 secondes seraient allégrement dans ses cordes. Ce champion phénoménal totalise déjà cinq titres majeurs (100 m, 200 m et 4 x 100 m à Pékin, 100 m et 200 m à Berlin) et autant de records du monde à la clé. Et c'est loin d'être terminé. «Je ne me fixe pas de limites. Tout est possible», annonce-t-il. Usain Bolt le galactique voudrait s'ouvrir un passage vers l'au-delà. M. B.