Aucun domaine ne rend aussi bien compte de l'incertitude identitaire des Algériens que le métissage linguistique qui se retrouve dans leurs parlers. Du français, de l'arabe classique, de la derdja, du berbère… des emprunts, des néologismes, et des calques se mêlent, alternent et se chevauchent à volonté. Switchant avec naturel, d'une langue à une autre, les Algériens en sont arrivés à créer un nouveau code linguistique unissant toutes les langues en présence dans l'univers algérien. C'est dans le parler des jeunes que ce métissage exceptionnel et continuellement renouvelé se ressent. Le langage des jeunes est riche et changeant. Difficile de s'y retrouver tant il en existe plusieurs et de différentes nuances. D'une catégorie sociale à une autre, les repères, les pratiques, le vocabulaire et les langues changent. Mais elles puisent toutes à la même source. Le français, langue du dernier colonisateur dont la présence est encore fortement soutenue par la parabole, l'arabe classique dans toutes ses variantes régionales véhiculées par les chaînes satellitaires des pays arabes, la derdja relevé de la télévision algérienne, etc. Tous menant au même constat : les Algériens souffrent de troubles linguistiques graves ! Ce métissage linguistique exprime parfaitement le malaise culturel algérien. On dit qu'une langue est une porte ouverte sur une culture donnée. On dit également que, lorsqu'on apprend une langue, on s'ouvre forcément à la culture qu'elle véhicule. A voir les jeunes Algériens hésiter entre plusieurs langues qui ne sont pas réellement les leurs, on est en droit de se poser des questions sur l'assise identitaire des Algériens. Et les jeunes alors ? Qu'en pensent-ils ? Sont-ils conscients de ce qui se trame derrière le plurilinguisme de notre société ? Amina, jeune étudiante, nous parle du métissage linguistique à l'algérienne : «Pour moi, il est évident que les Algériens sont perdus. Ils ne savent plus où donner de la tête entre l'influence du monde arabe et celle des pays occidentaux qui se disputent leurs esprits !» Selon Amina, les jeunes Algériens souffrent réellement d'aliénation. Qu'ils se laissent entraîner par les mouvances musulmanes venues des pays arabes ou qu'ils s'identifient au mode de vie purement occidental, ils ne sont plus eux-mêmes. Adel, jeune salarié, n'est pas de son avis. Pour lui, certes, les jeunes Algériens sont très influencés par ce qui se fait ailleurs mais cela n'empêche pas qu'ils gardent leur identité parfaite. «Qu'ils parlent arabe ou français, ils le font à leur sauce. Quelle que soit la langue qu'ils choisissent, ils la remodèlent à leur façon !» explique-t-il. Toute identité affirme son existence à travers la langue. La question qui s'impose est : Où en est donc l'identité algérienne ? Et quelle langue la porte ? La plupart des jeunes à qui la question a été posée ont répondu : «la derdja»… Oui, car dans quelle autre langue peut-on se retrouver le mieux si ce n'est celle-là ! Certainement pas dans le français, langue de l'ancien colonisateur, et encore moins dans l'arabe classique qui ne peut dépasser les portes d'entrée de nos écoles. Le constat amer à faire est : la derdja, la langue dans laquelle les jeunes retrouvent les symboles et les points forts d'une identité à laquelle ils tentent tant bien que mal de s'accrocher, n'est qu'un dialecte politiquement déprécié… F. B.