Pendant des décennies, les publics de la télévision et la relation qu'entretient ce média avec la culture au sens large sont demeurés un «angle mort» très peu étudié. Le retard en la matière a été largement et rapidement rattrapé et l'on compte par milliers les livres, les études, les thèses et les rencontres qui ont pour objet la télévision et ses publics. Les récentes technologies de diffusion et de réception, le renfort apporté par Internet, le nombre de plus en plus grandissant de chaînes et de programmes audiovisuels, la plus-value culturelle desservie par les satellites ont complètement transformé les publics, les programmes (les offres), démultiplié les entreprises qui produisent pour les sociétés de programme plus nombreuses que les stations de radio dans certains pays. Les chaînes généralistes sont un concept lié à celui de grand public, récusé par Dominique Wolton lorsqu'il écrit : «Le grand public est un concept, une représentation, un choix, une orientation, une valeur, une volonté. Il est la traduction, dans le domaine de la communication, du concept du suffrage universel dans celui de la politique.» Cette dernière, au fil du temps, a été refoulée dans ses territoires dans les grandes démocraties qui ont su, justement pour faire vivre et évoluer leur démocratie, inventer des règles du jeu, des instances indépendantes de régulation qui font office de juge de paix et d'arbitre entre le pouvoir, les institutions et les médias. Bien entendu, des entorses, des velléités de contrôle (le vilain mot) des manipulations parsèment, dans les grandes nations, la vie du couple infernal formé par le pouvoir et les médias. Les premiers vrais grands bénéficiaires dans ces démocraties, certes différentes les unes des autres, ce sont justement, surtout aux plans culturel et des loisirs, les publics. Si la démocratie n'est pas une construction parfaite et idéale, la télévision privée et publique ne l'est pas non plus. Dans les pays arabes, et l'Algérie fait partie de ce bloc, lui aussi avec des composants divers, l'hypothèse fondamentale des pouvoirs est que la télévision contrôlée directement par lui ferait office de suffrage universel dans un système de parti unique, même à plusieurs têtes, et qu'elle est suivie à tout moment de jour et de nuit par la majorité des citoyens qui voteraient donc dans le bon sens. Or, en 2010, rien n'est plus faux que ce type d'aveuglement au regard d'un pays le plus parabolé du monde sans discussion aucune, sachant que le marché algérien est pris par des TV dites religieuses débiles, les grandes chaînes françaises et El Jazeera.Le Ramadhan de cette année 2010, selon les journaux privés, toutes tendances confondues, a été le plus nul pour la chaîne unique depuis l'indépendance. Le jugement de la presse privée algérienne, à tort ou à raison, la prolifération des programmes étrangers et d'articles relatifs à ces programmes dans cette même presse, jurent avec le cynisme, l'incompétence et le déni de la réalité des pouvoirs publics. Ces derniers n'ont aucune ambition politique pour le champ audiovisuel national et aucune envie d'entrer dans l'histoire pour avoir mis la TV dans le sillage des chaînes des grandes démocraties que des Algériens, les élites, les universitaires et les membres de l'Exécutif et du Parlement algériens consomment sans modération alors qu'ils sont dans l'incapacité de surveiller le prix des journaux français (quotas surtout calculés d'après leurs invendus) qui grimpe pratiquement chaque trimestre depuis des années, en Algérie.Grâce à la parabole, selon la presse privée algérienne, les Algériens suivent Nessma TV, des feuilletons syriens où il y a du sexe, de l'érotisme, la réalité de l'homosexualité, les feuilletons turcs, etc. Et dire qu'il y a ceux tout fiers d'avoir permis un Canal + Maghreb pour sous-développés bigots, impossible à vendre à un Européen débile. Le jugement que portent les critiques nationaux est paradoxalement conforté par de nombreux silences. Des artistes, des «experts», surtout pour exécuter des ronds de jambe, des «spécialistes» en liste d'attente, des ministres et parlementaires universitaires (il y en a dans le lot) ne pipent mot. S'ils n'applaudissent pas les niveaux qualitatif et quantitatif de notre audiovisuel, c'est qu'ils rejoignent les critiques. Le mieux, c'est qu'ils nous le disent. A moins qu'ils croient, eux aussi, que le contrôle de la seule chaîne vaut suffrage universel, celui des centaines de programmes que nous recevons chaque jour. Ou bien que la seule chaîne du pays ne les concerne en rien. A. B.