Le dernier ouvrage de Abderrahmane Mekhelef, Loin de la source, n'a pas la prétention d'écrire une page de l'histoire. Mais il en fait sa source, sa trame, même si son titre suggère le contraire. Si les personnages du roman sont fictifs, les faits sont, eux, pour l'essentiel, authentiques. L'auteur, né à la Casbah en 1937, a convoqué ses souvenirs et puisé dans les chroniques des journaux de l'époque pour construire ce témoignage à travers lequel il relate les soubresauts que vit au quotidien toute une jeunesse dans une Algérie ensanglantée et violentée par le colonisateur qui, jusqu'à la veille de l'indépendance, commet encore ses crimes.L'histoire commence la veille du 5 juillet 1961. Ahmed, jeune instituteur habitant la Casbah, fait partie d'une cellule du FLN chargée de préparer, d'organiser et d'encadrer les manifestations populaires qui devront coûte que coûte avoir lieu, quitte à faire sortir les citoyens de chez eux. Car il faut marquer cette journée pour montrer à la France et au monde entier que toute l'Algérie est derrière le FLN et le soutient dans toutes les actions, militaires ou politiques qu'il engagera pour l'indépendance du pays.Au sein de son groupe et parmi ses amis, Ahmed, idéaliste pétri des idées des grands révolutionnaires du monde, est considéré comme l'intellectuel. Les responsables d'El Djabha (le Front, diminutif du FLN) lui confient d'ailleurs des missions qui se rattachent principalement à l'organisation et l'encadrement. Pourtant, en son for intérieur, il est, lui, persuadé qu'il peut faire mieux et plus, en termes de réflexion et même d'élaboration de stratégies et de politiques. Ahmed est un individualiste (à ne pas confondre avec égoïste) convaincu que ses potentialités et capacités sont méconnues, donc, mal exploitées. Ce sentiment de supériorité, qu'Ahmed se garde d'afficher, l'éprouve dans toutes ses relations, jusqu'à la plus intime, avec Hassiba, une militante que, depuis le lycée, tout le monde désirait et qu'il a, lui, finalement séduite.L'histoire d'amour de Hassiba et de Ahmed évoluera et suivra, voire épousera, les circonvolutions de l'histoire du pays durant ces deux années qui précèdent l'indépendance. La répression qui s'abat sur les Algériens, la torture, les horribles attentats de l'OAS, dernier sursaut de la bête colonisatrice, rapprochent les amoureux et soudent le couple, même quand Ahmed est obligé de partir pour Oran se réfugier après l'arrestation d'un membre de sa cellule. Paradoxalement, c'est avec l'approche de la paix que les dissensions entre les deux parties apparaissent. On ne peut s'empêcher de faire le rapprochement entre le couple Ahmed-Hassiba et la situation tendue prévalant en Algérie entre les différents acteurs et artisans de la guerre de libération qui, à la veille de l'indépendance, s'affrontaient déjà pour les commandes du pays qu'ils estimaient leur revenir de droit. Surtout quand Ahmed perd Hassiba qui, sous la pression de la famille, revient au cousin auquel elle avait été promise avant qu'il ne monte au maquis. Ahmed finit par se suicider, laissant Hassiba à ceux qui lui ont prise de force.Ce n'est là qu'un résumé succinct du livre qui est en fait une trilogie rassemblée dans un seul volume qu'on lit avec un réel plaisir. Le style de narration très fluide comme la structure du texte très simple rendent très agréable la lecture de l'ouvrage très riche en informations sur ces moments de l'histoire de l'Algérie. H. G.